Barack Obama s'apprête à quitter la présidence américaine sans avoir réussi à fermer, comme il l'avait promis, la prison militaire de Guantánamo. Et tout indique que son successeur ne partage pas du tout son ambition relativement à cet établissement controversé dont les détenus sont soupçonnés de terrorisme depuis maintenant 15 ans.

Le président désigné Donald Trump a sommé il y a deux semaines l'administration de ne pas relâcher d'autres prisonniers vers des pays tiers en clamant qu'il fallait éviter que des «individus extrêmement dangereux» pour les États-Unis puissent retourner «sur le champ de bataille».

Son intervention, souligne l'écrivain et militant Larry Siems, joue sur les peurs de la population et ne reflète pas adéquatement la situation à Guantánamo, où des centaines de personnes ont été détenues pendant des années sans jamais avoir eu droit à un procès avant d'être relâchées sans excuses.

Bien qu'ils aient été présentés comme «les pires des pires» par Donald Rumsfeld, secrétaire à la Défense sous l'ex-président George W. Bush, la majorité des détenus ayant passé des années là-bas n'avaient rien à se reprocher, relève M. Siems, qui s'est plongé au coeur de cet «abysse carcéral» en 2012 en entreprenant de mettre en forme les écrits de Mohamedou Ould Slahi.

Le ressortissant mauritanien, qui a été détenu près de 14 ans par les États-Unis, a rédigé à la main le récit de son passage dans la prison militaire située dans l'île de Cuba avant qu'il soit finalement relâché à la fin de l'année dernière.

«Pendant les quatre ans où j'ai travaillé sur le manuscrit, j'ai eu sa voix dans la tête, je savais qui il était. Lorsque j'ai finalement pu le rencontrer, c'est comme si je le connaissais depuis toujours», souligne l'écrivain, qui s'étonne de la résilience de l'ancien détenu.

«Il a trouvé la manière de demeurer entier et humain malgré les circonstances dégradantes dans lesquelles il s'est retrouvé».

Mohamedou Ould Slahi, qui vit aujourd'hui avec sa famille en Mauritanie, affirme avoir pardonné à ses geôliers et à leurs supérieurs malgré la torture et les exactions subies.

Il n'en demeure pas moins déterminé à réclamer la fermeture de Guantánamo, qui constitue à ses yeux une «tache» durable dans l'histoire des États-Unis, relève M. Siems.

«Le système en place voudrait faire croire qu'il existe deux classes de personnes qui méritent des formes de justice différentes, alors qu'il n'y a qu'une justice pour tout le monde», relève l'écrivain, qui se dit frustré du fait que l'administration Obama ne soit pas parvenue à fermer carrément la prison.

Transfert de détenus

La Maison-Blanche a approuvé récemment le transfert au sultanat d'Oman d'une dizaine de prisonniers de Guantánamo malgré les mises en garde du président désigné. Il en reste aujourd'hui 45, alors qu'il y en a déjà eu près de 800.

Larry Siems pense que la responsabilité de l'impasse actuelle «va de l'exécutif à la population américaine en passant par le Congrès», qui a interdit le transfert de prisonniers de Guantánamo sur le sol américain.

Barack Obama, estime l'écrivain, aurait peut-être pu agir plus rapidement après son élection, mais il a eu à faire face à des élus républicains déterminés à bloquer ses projets. Des élus démocrates, note M. Siems, ont aussi exprimé des réserves parce qu'ils craignaient l'impact d'une éventuelle fermeture sur leurs chances de réélection.

Mal informés

La population américaine, dit-il, n'a pas aidé non plus, puisque nombre d'Américains demeurent mal informés relativement à Guantánamo et ne comprennent pas «pleinement» qui sont les personnes qui ont été détenues là-bas et la manière dont elles ont été traitées.

Donald Trump a déclaré en campagne qu'il avait l'intention de «remplir l'endroit avec des individus douteux» sans préciser qui il avait en tête, mais M. Siems pense qu'il est loin d'être acquis que le scénario verra le jour.

«Barack Obama voulait fermer la prison, mais il n'a pas réussi en raison de l'opposition à laquelle il s'est heurté au sein du Congrès et de la population. Or, il n'est pas dit que le même mécanisme ne jouera pas dans le sens contraire» pour empêcher le nouveau président de relancer son utilisation, relève l'écrivain.

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Une réduction progressive

Il reste aujourd'hui à Guantánamo 45 des 779 personnes détenues depuis 2002 dans le cadre de la «guerre au terrorisme» américaine. Plus de 700 ont été relâchées ou transférées vers des pays tiers au fil des ans et neuf sont mortes en détention.

Un seul détenu, Ahmed Khalfan Ghailani, a été jugé sur le sol américain, où il a été condamné à la prison à perpétuité en 2011 pour son rôle dans une attaque d'Al-Qaïda contre l'ambassade des États-Unis en Tanzanie, en 1998.

Le Congrès a ensuite interdit au Pentagone de financer le transfert de détenus vers les États-Unis de manière à s'assurer qu'aucun autre procès civil de ce type n'aurait lieu. La libération de 9 des 45 détenus restants a déjà été approuvée et dépend de la capacité de l'administration à trouver un pays d'accueil.

Les autres détenus sont jugés devant des commissions militaires dont la légitimité est contestée ou sont détenus sans accusation formelle, mais jugés trop dangereux par les autorités américaines pour être relâchés.