La Cour suprême des États-Unis est apparue favorable mercredi aux droits d'une jeune musulmane, que la marque «branchée» de prêt-à-porter Abercrombie, connue pour ses mannequins «sexy», a refusé d'embaucher car elle portait un foulard islamique.

La question paraît simple: l'enseigne très prisée des adolescents Abercrombie & Fitch (A&F) s'est-elle rendue coupable de discrimination religieuse en refusant un poste de vendeuse à Samantha Elauf, qui portait un foulard noir lors de l'entretien de recrutement?

Les magasins d'A&F sont réputés pour leurs mannequins aux torses sculpturaux et aux jeans taille basse, appâtant le client à l'entrée, et pour leurs vendeuses aux tailles de guêpe et aux décolletés généreux, revêtues de jupes courtes et de liquettes ajourées.

«Les modèles», c'est ainsi qu'A&F qualifie ses vendeurs, sont tenus de présenter le «style Abercrombie» aux clients et afficher «le style du lycéen classique de la côte est» des États-Unis. Les «chapeaux» et la couleur noir sont proscrits, mais «le foulard» n'est pas explicitement interdit.

Déroger au règlement expose à des sanctions disciplinaires, allant jusqu'au licenciement. Car l'enseigne est convaincue que toute exception vestimentaire aurait un impact négatif sur son image, sa marque et ses ventes.

Mais lors d'une audience d'une heure, plusieurs juges ont relevé le caractère «confus» de l'affaire en examinant la plainte de l'Agence gouvernementale pour l'égalité devant l'emploi (EEOC), qui défend la jeune musulmane.

Car aux États-Unis, la loi interdit la discrimination religieuse à l'embauche, sauf si l'employeur démontre qu'il ne peut pas «aménager raisonnablement» son activité pour la conformer à une pratique religieuse.

Or, d'un côté, Abercrombie souligne que la candidate n'a pas mentionné sa confession ni demandé explicitement d'aménagement de sa politique vestimentaire en fonction de sa religion.

De l'autre, la jeune femme affirme qu'Abercrombie ne pouvait pas ignorer qu'elle était musulmane et aurait dû lui demander si elle était prête à s'accommoder.

Quid d'un sikh ou d'un juif? 

Ecartelée entre sa traditionnelle bienveillance pour les entreprises et sa propension à défendre la liberté de religion, la plus haute juridiction du pays s'est donc retrouvée en position d'arbitre entre un employeur, qui exige le strict respect de sa politique vestimentaire, et un candidat, dont les convictions religieuses empêchent de s'y plier.

La majorité des neuf juges ont semblé enclins à se ranger du côté du gouvernement et des nombreuses organisations religieuses qui ont pris fait et cause pour la jeune musulmane.

«La seule raison pour laquelle elle n'a pas été embauchée est sa conviction religieuse», a résumé le juge Samuel Alito. Car la politique vestimentaire d'Abercrombie ne s'applique pas aux entretiens d'embauche, a-t-il rappelé. Abercrombie a donc «supposé» que la jeune femme portait le foulard pour des raisons religieuses et voudrait ainsi continuer à le porter en magasin si elle était embauchée.

Quid d'un candidat qui arrive tout de noir vêtu, faudrait-il supposer qu'il s'habillera toujours en noir? Et un sikh portant le turban, un juif coiffé de la kippa? «Vous pensez que chaque employé doit dire: "je suis habillé ainsi par conviction religieuse"?», a demandé le juge conservateur à l'avocat d'Abercrombie.

«Il y a des millions de personnes dont on peut deviner la pratique religieuse en fonction de leur nom ou de la manière de s'habiller», a renchéri le juge progressiste Stephen Breyer.

Abercrombie doit pouvoir «aménager» sa politique vestimentaire aux pratiques religieuses, a également suggéré le président de la haute Cour, John Roberts. S'il n'y pas d'obligation pour «une casquette de baseball, ils doivent le faire avec un foulard», a renchéri la juge Ruth Ginsburg.

Cela conduirait Abercrombie à «s'écarter d'une politique neutre au niveau religieux sur une simple suspicion», en a conclu Shay Dvoretzky, l'avocat de la marque de prêt-à-porter, estimant que «ce «type de critères aboutirait inévitablement à des stéréotypes».

Sur les marches du temple de la justice américaine, la jeune musulmane, voilée, est apparue souriante à la fin de l'audience. «Je ne suis pas là seulement pour moi mais pour tous ceux qui veulent vivre leur foi au travail», a déclaré Samantha Elauf, dans un communiqué. «Le respect de mes convictions religieuses ne doit pas m'empêcher d'obtenir un travail».

Elle avait obtenu 20 000 dollars de dommages et intérêts en première instance, avant d'être déboutée en appel. La réponse de la haute cour est attendue avant fin juin.