«C'est un cri humanitaire». Les avocats d'un gréviste de la faim à Guantanamo ont fait le procès lundi de l'alimentation forcée dans cette prison qui, associée à des brimades, n'est rien d'autre selon eux que «douloureuse et humiliante».

C'est la première fois depuis l'arrivée il y a près de 13 ans des premiers détenus dans cette prison controversée, située sur des terres cubaines éloignées de toute frontière américaine, que la justice fédérale se penche sur les conditions de confinement.

L'un des 149 détenus, Abou Dhiab, enfermé sans inculpation ni jugement depuis 2002 et que les autorités américaines ont jugé libérable depuis 2009, proteste contre sa détention par des grèves de la faim régulières.

«C'est le seul moyen qu'il a de protester pacifiquement contre sa détention», a déclaré à l'audience l'un de ses avocats, Eric Lewis. «Les mois, les années ont passé et il est toujours là. Sa grève de la faim, c'est un cri humanitaire, il n'a pas le choix».

Pourtant, «jour après jour, mois après mois, année après année», le Syrien est extrait de force de sa cellule, attaché avec des sangles à une chaise où il est nourri de force par des sondes naso-gastriques qui lui sont insérées et retirées plusieurs fois par jour.

«Tout ce qu'il veut, c'est être traité humainement», a martelé l'avocat, rappelant à la juge Gladys Kessler qu'elle avait elle-même qualifié la procédure de «douloureuse et humiliante».

«M. Dhiab est prêt à collaborer, il est d'accord pour être nourri par sondes, mais pas de manière contrainte», a renchéri Sondra Crosby, une experte des victimes de torture, professeur en médecine de l'université de Boston. «Il veut être traité avec respect et humanité», a-t-elle ajouté.

«Il est coopératif, il est volontaire et ouvert à rendre les choses plus faciles», a renchéri un ancien psychiatre de l'armée, Stephen Xenakis, cité également par la défense.

Le Syrien «veut être en aussi bonne santé que possible, il ne veut pas mourir» du fait de sa grève de la faim, a dit l'expert. Il «veut juste sortir et vivre avec sa famille».

M. Dhiab est appelé à être bientôt transféré en Uruguay avec cinq autres co-détenus.

Les deux experts ont rencontré et examiné le Syrien pendant quatorze heures à Guantanamo, et ont vu des enregistrements vidéo --jusqu'ici classifiés-- de la procédure d'alimentation par sondes du détenu.

Le docteur Crosby a expliqué comment le plaignant avait été «extrait de force de sa cellule» quelque 1300 fois, alors qu'il «souffre de toute évidence» de douleurs importantes au dos et à une jambe.

«Comme une punition» 

«C'est un cas très compliqué», a-t-elle dit, et pourtant «il semble qu'il soit privé de soins médicaux par mesure disciplinaire» ou qu'on lui refuse «comme une punition» une chaise roulante et des béquilles alors qu'il ne peut pas se déplacer sans.

Le docteur Crosby s'est dit très «préoccupée par ces décisions d'ordre disciplinaires» et «complètement inappropriées» au niveau médical.

Si elle a admis que l'alimentation naso-gastrique était «la méthode normale» dans les hôpitaux, cette experte a précisé qu'à moins d'une «contre-indication», la sonde devait rester en place pour éviter des souffrances supplémentaires.

«Il y a un risque d'infection» si on laisse les sondes, a rétorqué le représentant du gouvernement. En outre, cela poserait un «risque pour leur sécurité» car les détenus «pourraient utiliser le tube pour s'asphyxier», a fustigé le procureur Andrew Warden.

Il a estimé que «l'alimentation par voie interne est mise en place de manière humaine et appropriée» à Guantanamo, soulignant que la chaise où il est attaché --que les détenus qualifient de «chaise de torture»-- n'était pas «utilisée comme un châtiment ou pour infliger une souffrance» mais par «mesure de sécurité».

La méthode est «nécessaire pour empêcher le décès» du détenu, a-t-il expliqué, estimant que «la procédure n'est pas douloureuse» car le personnel de la prison utilise des sondes naso-gastriques pédiatriques conseillées pour «des enfants de moins de trois ans».

Il a en outre soutenu qu'Abou Dhiab «refusait constamment la nourriture» qu'on lui proposait et avait «des antécédents de désobéissance».

La juge Gladys Kessler a ordonné que la quasi-intégralité des débats soient publics, au grand dam du gouvernement qui avait réclamé le huis-clos complet.