En juin 2008, Shahed Hussain, informateur du FBI, rencontre James Cromitie, ancien petit trafiquant de drogue converti à l'islam, dans le stationnement d'une mosquée de Newburgh, à une centaine de kilomètres au nord de New York.

Comme il le fait depuis plusieurs mois avec les habitués de la mosquée, Hussain entraîne son interlocuteur dans une discussion sur le djihad. Or, contrairement aux autres, Cromitie réagit avec enthousiasme au complot proposé par cet homme dont il ne sait rien. Ainsi, moyennant la somme de 250 000$ que lui offre l'informateur, il accepte de participer à un complot consistant à poser des bombes près de deux synagogues du Bronx et à tirer des missiles sol-air sur des avions militaires.

Mais Cromitie, alors âgé de 45 ans, tarde à passer à l'action, ignorant les appels téléphoniques de Hussain pendant plusieurs semaines. Ce n'est qu'après avoir perdu son emploi chez Walmart qu'il reprend contact avec l'informateur du FBI. Celui-ci lui réitère alors son offre financière.

L'appât du gain joue un rôle déterminant non seulement dans la décision de Cromitie d'aller de l'avant avec le complot, mais également dans le recrutement de trois complices dont il se charge. L'un d'eux, Laguerre Payen, immigré d'origine haïtienne et de confession catholique, a reçu un diagnostic de

schizophrénie. Cromitie souffre lui-même de troubles mentaux, ayant avoué à un psychiatre entendre et voir des choses qui n'existent pas.

Avec de tels apprentis terroristes, Shahed Hussain doit s'occuper de tout pour faire progresser le complot, y compris fournir des explosifs (inutilisables) et un missile (désactivé). Les «quatre de Newburgh», comme ils seront plus tard surnommés, seront arrêtés le 20 mai 2009 près d'une synagogue de Riverdale, dans le Bronx. Trois d'entre eux, dont Cromitie, seront reconnus coupables en octobre 2011 de huit chefs d'inculpation.

Mais la juge Colleen McMahon, tout en se voyant tenue à les condamner à 25 ans de prison en juillet 2011, ne cachera pas son indignation face aux méthodes du FBI.

«Seul le gouvernement aurait pu faire un terroriste de M. Cromitie, dont la bouffonnerie est carrément d'envergure shakespearienne», dira-t-elle à l'issue du procès.

L'histoire des «quatre de Newburgh» est relatée dans un rapport de 241 pages publié hier par l'organisation Human Rights Watch (HRW), qui accuse le FBI d'avoir poussé des musulmans américains à commettre des attentats après le 11-Septembre.

27 cas examinés

Le rapport contient plusieurs autres exemples d'informateurs du FBI qui ont entraîné des gens souvent vulnérables à participer à des complots terroristes, leur fournissant l'idée et les moyens. Parmi les 27 cas examinés en profondeur par HRW, on trouve également l'histoire de Rezwan Ferdaus, qui souffrait «de toute évidence» de problèmes mentaux, selon l'aveu d'un agent du FBI à son père. Ferdaus a été condamné à 17 ans de prison à l'âge de 27 ans pour avoir voulu attaquer le Pentagone et le Capitole avec des minidrones bourrés d'explosifs. Le plan avait été conçu de A à Z par un informateur du FBI, qui a financé le voyage de l'apprenti terroriste à Washington et son armement.

«On a dit aux Américains que leur gouvernement assurait leur sécurité en empêchant et en punissant le terrorisme à l'intérieur des États-Unis», a déclaré Andrea Prasow, l'un des auteurs du rapport réalisé avec l'aide de l'Institut des droits de l'homme de l'École de droit de l'université de Columbia. «Mais regardez de plus près et vous réaliserez que nombre de ces personnes n'auraient jamais commis de crime si les forces de l'ordre ne les avaient pas encouragées, poussées et parfois même payées pour commettre des actes terroristes.»

«Le gouvernement américain devrait arrêter de traiter les musulmans comme des terroristes en puissance», a ajouté l'avocate.

Le porte-parole du ministère de la Justice, Marc Raimondi, a défendu les méthodes du FBI, faisant valoir qu'elles avaient été validées par la Cour suprême et qu'elles constituaient «un outil de grande valeur pour protéger le pays contre le terrorisme».

Plus de 500 affaires de terrorisme ont été traitées par la justice américaine depuis 2001. Selon HRW, près de la moitié des condamnations obtenues dans ces affaires résultent de coups montés ou de guet-apens. Dans 30% des cas, des informateurs du FBI ont joué un rôle actif dans le complot.

HRW recommande notamment au FBI de revoir son utilisation d'informateurs.

Photo tirée du site centeronnationalsecurity.org

Shahed Hussain