Quatre militaires américains sont accusés d'avoir tué et mutilé des victimes innocentes «pour le plaisir» en Afghanistan. Un de leurs collègues vient d'être condamné à 25 ans de prison après s'être reconnu coupable des crimes. Selon un rapport secret de l'armée, leur colonel avait réécrit les règles d'engagement et encourageait les actes violents.

Les meurtres vivent dans la mémoire des témoins. Pour ceux qui n'y étaient pas, il y a les photos.

Sur l'une d'elles, le spécialiste Jeremy Morlock, 21 ans, tient la tête d'un jeune Afghan fraîchement tué. Morlock sourit. Le petit doigt de la main droite du cadavre semble avoir été sectionné.

La photo suivante montre le soldat Andrew Holmes, 19 ans, qui tient la tête du même corps par les cheveux, une cigarette dans l'autre main.

Et il y a les ciseaux. Sur certaines images, le sergent Calvin Gibbs, 25 ans, originaire du Montana, porte une paire de ciseaux dans la poche de son uniforme. Des soldats ont dit que Gibbs utilisait les ciseaux pour couper l'auriculaire de ses victimes, qu'il gardait comme souvenir dans un sac Ziploc.

Surnommés «Kill Team» par les médias, cinq militaires d'une unité de la 5e brigade en Afghanistan ont été accusés d'avoir pris part à trois meurtres sordides, survenus en 2010. Sept autres sont accusés d'avoir mutilé des corps et d'entrave à l'enquête.

Les officiers de haut rang font retomber le blâme sur le sergent Calvin Gibbs, accusé d'être le chef du groupe. Or, selon un rapport secret de l'armée, dévoilé il y a quelques jours par le magazine allemand Der Spiegel, le Pentagone soupçonne que les meurtres ont été rendus possibles par le climat d'impunité créé, en partie, par le colonel responsable de la brigade. Jusqu'ici, le colonel, Harry Tunnell, n'a reçu qu'une lettre de réprimande.

Fausse attaque

Publiées le mois dernier par le magazine Rolling Stone, les photos sur le comportement de l'unité de la 5e Brigade, qui comprend 3800 militaires, déployés dans la région dangereuse de Kandahar, ont fait le tour du monde.

Durant un reportage en Afghanistan, le photographe de guerre américain Max Becherer a passé une journée avec les militaires de l'unité, l'an dernier. Il dit avoir tout de suite vu que quelque chose clochait.

«J'ai trouvé étrange que le sergent Gibbs ait des ciseaux sur lui, dit-il en entrevue avec La Presse. Je lui ai demandé s'il les avait parce qu'il était médecin, et il m'a dit: «Non, c'est juste que je dois être prêt.» À la lumière de ce qu'on sait aujourd'hui, ça donne froid dans le dos d'imaginer à quoi les ciseaux ont servi.»

Selon les actes d'accusation, la technique employée par le Kill Team était toujours la même: les militaires affirmaient être attaqués, puis descendaient leur victime.

Le 15 janvier 2010, l'unité de Gibbs est en patrouille. Les soldats repèrent Gul Mudin, un jeune Afghan de 15 ans, qui travaille dans un champ. Ils lui font signe d'approcher, puis lancent une grenade en sa direction et ouvrent le feu. Le jeune homme meurt sur-le- champ. Les hommes prennent leur photo avec sa dépouille.

Le rapport de 500 pages obtenu par Der Spiegel montre que les actes violents étaient tolérés et même encouragés par le colonel Harry Tunnell.

«L'inattention de Tunnell (...) a pu aider à créer un environnement où des fautes ont pu être commises», y lit-on.

Détruire plutôt que protéger

Tunnell avait d'ailleurs fait circuler un livret de préparation pour ses hommes, intitulé «Strike and Destroy» (frapper et détruire), qui va à l'encontre de la mission officielle de l'armée en Afghanistan, qui est d'aider et de protéger la population locale.

Un des soldats cités dans le rapport de l'armée explique: «Si je devais résumer en une expression le discours (du colonel Tunnell), et l'impression qu'il m'a laissée, ce serait: «Allez tuer ces salauds.»»

Pour Max Becherer, le climat de violence encouragé par le colonel Tunnell semble avoir influencé le comportement et l'attitude des troupes.

«Le stress des ordres des chefs de la brigade, qui voulaient tuer les talibans, a eu une incidence sur la violence sur le terrain, dit-il. Les jeunes soldats étaient prêts à suivre tout leader qu'ils voyaient comme étant capable d'assurer leur sécurité, et d'avoir le respect des soldats qui étaient ouvertement agressifs. Une situation très grave.»

Le mois dernier, un tribunal militaire a condamné Jeremy Morlock à 25 ans de prison pour avoir participé au meurtre de trois civils en Afghanistan, dont celui de Gul Mudin. Quatre membres du Kill Team, dont Calvin Gibbs, ont plaidé non coupable et doivent passer en cour martiale cette année.