En renvoyant le procès du 11-Septembre devant la justice militaire d'exception, le gouvernement Obama tente le pari politique risqué de prendre les conservateurs à leur propre jeu, et peut-être de les priver de la peine capitale qu'ils réclament.

Lundi, c'est le visage fermé et la voix irritée que le ministre américain de la Justice Eric Holder a annoncé qu'il abandonnait la bataille livrée depuis un an et demi et renonçait à traduire les cinq détenus de Guantanamo poursuivis pour les attentats du 11-Septembre -Khaled Cheikh Mohammed, Ramzi ben-al-Chaïba, Ali Abd al-Aziz Ali, Wallid ben Attach et Moustapha al-Houssaoui- devant un tribunal de droit commun.

Mais l'image que s'est donnée l'administration d'avoir les mains liées par la majorité républicaine du Congrès, le jour même où Barack Obama annonçait qu'il était candidat à sa succession, ne trompe pas les spécialistes.

Barack Obama lui-même a rétabli, après réforme, les tribunaux militaires mis en place par son prédécesseur George W. Bush, et que le ministre de la Justice semble regretter d'avoir à utiliser pour un procès aussi symbolique.

«C'est la responsabilité d'un problème que M. Obama a lui-même créé que le ministre Holder essaie de renvoyer sur le Congrès», explique à l'AFP Jonathan Turley, professeur de droit à l'université George Washington.

«L'administration Obama est presque hypocrite de se plaindre alors que c'est le président lui-même qui a décidé de conserver les tribunaux d'exception», ajoute-t-il.

«Il est malheureux que nous ayons perdu deux ans et demi, nous en sommes revenus exactement là où nous en étions quand l'administration a pris ses fonctions», observe de son côté David Rivkin, un avocat conservateur favorable à cette juridiction pour le 11-Septembre.

David Glazier, professeur à Loyola, pense plutôt à une manoeuvre politique : apaiser à droite sans froisser sa gauche.

«Les conservateurs sont farouchement opposés à des procès fédéraux (...), ça peut être un moyen pour l'administration d'éviter que ce soit un thème de campagne en leur donnant ce qu'ils veulent tout en sachant que ce n'est pas le bon choix», explique-t-il à l'AFP.

Les élus républicains ont applaudi sans retenue lundi, assurant que le sujet était clos.

Mais, poursuit M. Glazier, c'est sans compter de leur part sur deux obstacles majeurs.

D'abord, une condamnation à mort n'est pas garantie puisque la règle de procédure en cour martiale, sur laquelle les tribunaux d'exception se sont en grande partie calqués, est que plaider coupable protège d'une condamnation à mort.

Or, les cinq accusés avaient annoncé qu'ils souhaitaient chacun plaider coupable avant que les procédures ne soient suspendues à l'arrivée du démocrate à la Maison Blanche. «Une situation qui n'existe pas dans la justice fédérale où on peut plaider coupable et être condamné à mort», relève M. Glazier.

«Les conservateurs américains que l'administration Obama semble vouloir apaiser en recourant à la justice militaire sont les plus déterminés à obtenir des condamnations à mort», rappelle le professeur.

Ensuite, le changement de juridiction va encore retarder l'organisation d'un procès. «Il est désormais certain que ce dossier va faire l'objet de contestations judiciaires et de retards sans fin», assure Anthony Romero, directeur de la puissante organisation de défense des droits civils Aclu, en rappelant que ces tribunaux sont encore à l'épreuve du feu.

Mais pour Jonathan Turley, ce n'est pas tant le délai supplémentaire qui compte que «le résultat qui sera complètement différent». «Quelles que soient les preuves présentées devant les tribunaux militaires, leur légitimité sera toujours mise en doute», prédit-il.