Le 13 décembre 2007: à quelques heures d'un débat télévisé en Iowa, où aura lieu le premier rendez-vous électoral de la campagne présidentielle de 2008, Hillary Clinton croise Barack Obama sur le tarmac de l'aéroport Ronald-Reagan, près de Washington.

La sénatrice de New York demande à parler à son rival afin de s'excuser auprès de lui pour les propos de Bill Shaheen, un conseiller de sa campagne au New Hampshire. Celui-ci a déclaré la veille que, si Obama devient candidat démocrate à l'élection présidentielle, le camp républicain va certainement exploiter ses anciennes expérimentations avec la drogue.

 

Au lieu d'accepter ces excuses, Obama profite de l'occasion pour se plaindre à l'ex-First Lady de la campagne de dénigrement dont il croit faire l'objet. Une campagne qui inclurait un courriel transmis par un des bénévoles de sa rivale en Iowa, dans lequel on le décrit comme un musulman.

L'accusation fait bondir Hillary Clinton, qui se met à gesticuler et à critiquer les coups bas de son adversaire et de son entourage. Obama tente alors de la calmer en plaçant une main sur son bras. Elle a un mouvement de recul, comme si elle trouvait ce geste condescendant ou envahissant, ou les deux à la fois.

En montant dans son avion, quelques instants plus tard, le sénateur de l'Illinois est envahi par un sentiment d'émerveillement. «Je n'avais jamais vu cette inquiétude dans son regard auparavant», dit-il à ses principaux conseillers en s'installant dans son siège. «Je pense que nous pouvons gagner cette course.»

Flair et ambition

L'anecdote est tirée de Renegade: The Making of a President, le premier livre sur la campagne présidentielle de 2008, l'une des plus passionnantes de l'histoire américaine. L'auteur, Richard Wolffe, ancien journaliste à l'hebdomadaire Newsweek, a devancé de nombreux concurrents en le faisant paraître mardi. Son récit de la rencontre impromptue entre les deux grands rivaux démocrates tend à démontrer que le tact et le charme de Barack Obama ne sont peut-être pas aussi infaillibles ou redoutables que son flair et son ambition politiques.

Le titre de l'ouvrage de Wolffe - Renegade - fait référence au nom de code qu'utilisent les agents des Services secrets pour désigner le sénateur de l'Illinois. En anglais, l'expression peut s'appliquer à quelqu'un qui rejette les conventions. Comme l'explique l'auteur, cette acception convient bien à Obama, obscur politicien de Chicago au nom et aux origines exotiques qui a bâti une redoutable machine électorale en mettant en pratique les leçons tirées de son expérience de travailleur communautaire.

Le sous-titre du livre - The Making of a President - est une allusion évidente à la série d'ouvrages de Theodore White consacrés aux élections présidentielles de 1960 à 1972. C'est d'ailleurs Obama lui-même qui a conseillé à Wolffe d'écrire ce livre après son fameux discours sur la question raciale à Philadelphie, en mars 2008.

«Pourquoi n'écris-tu pas un livre sur la campagne? Comme Theodore White. Ce sont des livres extraordinaires», a déclaré le futur président, qui allait accorder une douzaine d'entrevues exclusives à Wolffe au cours des mois suivants.

Renegade n'est pas aussi complet que les livres de White. L'auteur ne passe pas beaucoup de temps avec les rivaux d'Obama, y compris le républicain John McCain, et escamote des étapes importantes de la course à l'investiture démocrate, dont les primaires de Pennsylvanie, de Caroline-du-Nord et du Missouri. Mais Wolffe écrit bien et n'a pas de mal à accrocher le lecteur en racontant l'étonnante ascension de Barack Obama.

Pasteur Wright

Son livre ne contient pas de grandes révélations mais foisonne d'anecdotes inédites, comme ce face-à-face entre le candidat et son pasteur, Jeremiah Wright. Les deux hommes se sont en effet rencontrés à Chicago avant la conférence de presse catastrophique de Wright au National Press Club de Washington en avril 2008.

Obama avait déjà prononcé son discours sur la question raciale et craignait que la résurgence de son pasteur ne ramène sur le tapis une controverse qu'il croyait avoir enterrée.

«Écoutez, vous êtes un pasteur, vous avez votre propre rôle à jouer, a déclaré Obama à Wright. Mais je peux vous dire comment fonctionne la politique au temps des blogues et des chaînes d'info continue. Vous devez vous attendre à ce que cela se transforme en cirque médiatique.»

Et Wright s'est assuré qu'il en soit ainsi en répétant ses propos les plus controversés. Le lendemain, Barack Obama rompait avec lui une bonne fois pour toutes.

Le reste, comme on dit, fait désormais partie de l'histoire.