Comme toujours depuis bientôt deux semaines, c'est la cohue devant l'ambassade du Canada. Une cinquantaine d'Haïtiens exhibent leur passeport en criant, priant pour être choisis. Les quatre soldats de garde sont presque à bout de nerfs.

De l'autre côté de la lourde porte de fer, par contre, c'est le calme plat. Dans la cour de l'ambassade, quatre petits orphelins dévorent des tranches de pain en silence, collés à Peter et Dorothy DeKlerk. «Deux d'entre eux sont des enfants qui ont été laissés ici, devant l'ambassade, par une organisation. On n'en sait pas plus sur eux», explique M. DeKlerk, bénévole pour une ONG de Vancouver qui coordonne le transfert d'orphelins d'Haïti vers le Canada.

 

 

Les DeKlerk ont déjà entre les mains des certificats de transfert pour deux des quatre enfants. Ils doivent attendre les certificats des deux autres. «Quelqu'un de l'ambassade est en train de s'occuper de la procédure. Ça peut prendre quelques heures. Ça peut aussi prendre deux jours. On ne sait pas», lance M. DeKlerk.

L'attente sera inévitablement longue pour les deux orphelins sans certificat. Avant d'autoriser leur transfert et de les faire monter dans l'avion militaire qui les emmènera à Ottawa, les employés de l'ambassade doivent tout vérifier. Qui sont leurs parents? Que leur est-il arrivé? Leur certificat d'adoption est-il en règle? Ont-ils une place pour être accueillis au Canada?

Mais depuis le séisme, ce n'est pas le seul problème logistique qui ralentit le départ des orphelins haïtiens vers le Canada. L'ambassade, dont la cour est bondée de ressortissants qui attendent d'être rapatriés, ne peut accueillir, loger et nourrir plus d'une centaine de personnes à la fois dans son enceinte, explique-t-on. Faute de place, de structures et de ressources suffisantes pour prendre en charge les orphelins qui ont un certificat d'adoption, une équipe spéciale doit aller les cueillir à la dernière minute dans les orphelinats d'Haïti, et les transférer sans délai par avion.

L'opération est complexe. Pour se rendre à chaque orphelinat, les employés de l'ambassade doivent rouler dans un dédale de routes défoncées et mal identifiées, souvent de nuit.

En route vers le Canada

À 18h samedi, une de ces équipes arrive avec deux 4X4 blancs à la crèche Coeur d'enfants, à une quarantaine de minutes de route de l'ambassade. Ils viennent cueillir 9 des 32 ti-mouns qui sont sous la responsabilité de Viviane Alcide, et qui dorment sous une tente depuis le tremblement de terre. Épuisée, Mme Alcide craint que l'orphelinat s'effondre si une réplique survient. L'eau, la nourriture et les couches risquent aussi de manquer. «Je ne peux pas garder les enfants ici. Je ne sais même pas si je vais pouvoir accueillir d'autres enfants après que ceux-là furent tous partis», dit-elle.

Après quelques formalités, l'employée de l'ambassade chargée de cueillir les enfants lit à haute voix le nom des neuf gamins qui s'apprêtent à partir. Une vive tension se fait soudain sentir. «On ne veut pas traumatiser les enfants. Ils vont être séparés des autres, et se retrouver entre les mains de gens qu'ils ne connaissent pas, en route vers un endroit inconnu, explique un des responsables. C'est un moment très difficile.»

Malgré de grandes précautions, le transfert se fait très rapidement. Les enfants se blottissent dans les bras des employés de l'ambassade. «Toi et moi, on fait équipe», répète sans cesse la responsable de mission à une fillette, en la tenant par la main pour la rassurer.

Pas de larmes, pas de cris. Les neuf orphelins montent vite dans les voitures de l'ambassade. Mais le regard inquiet d'un garçon minuscule qu'on installe sur la banquette arrière fait craquer Mme Alcide.

Elle réprime cependant vite ses sanglots. «Dieu merci. Demain matin, ils vont être en sécurité au Canada», se console-t-elle, tandis que les deux VUS repartent lentement vers l'ambassade.