L'autre jour, Max Vilaire Dortilus a marché sur la route de l'aéroport jusqu'au quartier général de la police judiciaire, qui abrite ce qui reste du gouvernement haïtien depuis le tremblement de terre.

L'étudiant en linguistique a fait ce long trajet avec quelques copains dans l'espoir de rencontrer le président de son pays, René Préval. Il voulait le supplier de lui donner de l'aide. Pas seulement de l'eau, de la nourriture ou une tente, comme en réclament les rescapés installés dans des abris de fortune un peu partout à Port-au-Prince. «J'ai voulu rencontrer le président pour qu'il m'aide à trouver du travail», confie Max.

Le séisme qui a dévasté Haïti a rasé presque tous les immeubles du gouvernement. Seul le ministère des Affaires sociales a tenu le coup. L'accès au complexe policier où les ministres ont trouvé refuge, depuis, est bien protégé par des gardes de sécurité.

Max Vilaire Dortilus n'a donc jamais pu voir le président. Mais sa démarche désespérée illustre l'ampleur du défi qui attend son pays. Car sous les monticules de gravats qui encombrent le centre de la capitale, gisent non seulement les dernières victimes du séisme, mais aussi des dizaines de milliers d'emplois.

Au moment où Montréal accueille la conférence sur la reconstruction du pays, les habitants de Port-au-Prince, eux, ne se permettent pas encore le luxe de penser à l'avenir. Pour l'instant, ils se demandent simplement comment ils vont faire pour passer à travers les prochaines semaines.

La famille de Max Vilaire Dortilus a tout perdu quand la terre a tremblé : la maison, les vêtements, tout. Comme elle n'avait pas d'économies, elle n'a pour ainsi dire plus rien. Et depuis le séisme, la famille de Max a aussi perdu toutes ses sources de revenu.

Qu'attend donc Max de la conférence de Montréal ? Comme la plupart des gens à qui nous avons posé la question au cours des derniers jours, l'étudiant de 23 ans n'avait jamais entendu parler de cette rencontre internationale. Mais quand on lui demande comment il imagine la reconstruction de son pays, sa réponse est laconique : «Il faut faire autrement.»

«Tout est à reconstruire»

C'est aussi ce que dit Marie-Laurence Lassègue, ministre haïtienne de la Culture et des Communications. Depuis que le gouvernement a emménagé à la Direction centrale de la police judiciaire, c'est elle qui agit à titre de porte-parole de l'État.

Elle y dirige les points de presse quotidiens tenus dans la cour, à l'ombre de deux manguiers. Et c'est là, sous les branches alourdies par les mangues, qu'elle donne des entrevues aux médias étrangers.

Comme tous ses collègues, Marie-Laurence Lassègue s'est réveillée au lendemain du séisme devant une hécatombe. «J'ai perdu 28 personnes dans mon cercle de proches», dit-elle. Parmi ces proches, il y a son chef de cabinet, des amis, et aussi son cousin, l'écrivain montréalais Georges Anglade. Depuis le tremblement de terre, la ministre dort dans la cour d'une amie, à la belle étoile.

«Nous n'avons jamais rien vécu de pareil, regardez où je reçois la presse», dit-elle quand on l'interroge sur la lenteur de l'aide aux sinistrés.

Comment voit-elle donc le défi de la reconstruction de sa capitale ravagée ? «Nous devons bâtir un autre espace géographique, une ville plus humaine où on ne construit pas n'importe quoi, n'importe où. Une ville où on respectera les êtres humains.»

Pour Marie-Laurence Lassègue, «tout est à reconstruire à Port-au-Prince». Certaines rues résidentielles où il n'y a plus que des décombres devraient céder la place à des arbres, par exemple. Et puis, il faut cesser de construire en hauteur, abandonner ces maisons qui ne correspondent pas à la culture haïtienne.

Cette entreprise prendra du temps, bien sûr. Et en attendant, pour permettre aux gens de gagner leur vie, il faut lancer les grands travaux de réfection, construire des routes, lancer des projets agricoles. Bref, «embaucher les hommes et les femmes» pour qu'ils puissent reprendre le fil de leur vie.

De l'argent

Un peu avant notre rencontre avec Marie-Laurence Lassègue, hier, le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, est passé en coup de vent dans les bureaux temporaires du gouvernement, avant de s'envoler pour le Canada. «Si on devait reconstruire le pays comme avant, personne ne nous comprendrait», a-t-il dit. Et selon lui, cela va prendre de l'argent. Beaucoup d'argent.

«Les Haïtiens doivent se résigner à recevoir, puis se mettre au travail pour devenir enfin autonomes», a-t-il dit également. N'est-ce pas contradictoire ? Haïti ne risque-t-il pas, au contraire, de devenir encore plus dépendant des donateurs qui se tiraillent pour distribuer leur aide ?

Déjà, des voix suggèrent que le gouvernement cède temporairement un peu de sa souveraineté pour gérer la reconstruction de concert avec les donateurs internationaux. Dans la rue, des gens désillusionnés par leurs dirigeants voient cette proposition de bon oeil. Surtout ceux qui dorment sous des bâches improvisées, et qui, près de deux semaines après le séisme, ne reçoivent encore aucune aide.

Mais cette proposition irrite Mme Lassègue au plus haut point : «Nous ne sommes pas un pays occupé, nous sommes souverains», rétorque-t-elle.

Écueils politiques, techniques et financiers : la reconstruction sera une tâche immense. Max Vilaire Dortilus résume le défi en ces quelques mots : «Nous avons la mer à boire devant nous.»

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