Économie flageolante, spectre du parti tentaculaire de Ben Ali, question lancinante des islamistes, élection à risque dans quatre petits mois: à 84 ans, le Premier ministre tunisien Béji Caïd Essebsi a une longue liste de défis à relever pour gérer une révolution de jeunes et une démocratie naissante.

Plusieurs fois ministre du temps d'Habib Bourguiba mais aussi président de la Chambre des députés sous Ben Ali, Béji Caïd Essebsi ne se sent pas du tout en décalage avec les jeunes qui, dans la rue et sur l'internet, ont poussé Zine El Abidine Ben Ali vers la sortie après 23 ans de règne autocratique: «La génération internet, c'est celle de mes petits-enfants mais la jeunesse, c'est un état d'esprit pas un état civil», dit-il à l'AFP.

À coup de manifestations permanentes, la rue a exigé et finalement obtenu l'élection d'une assemblée constituante, à charge pour le deuxième Premier ministre de l'après-Ben Ali d'organiser ce rendez-vous crucial. La date du 24 juillet a été arrêtée mais beaucoup commencent à juger ce délai trop court.

«C'est difficile mais c'est un délai raisonnable, presque six mois après la révolution du 14 janvier (chute de ben Ali). Il ne faut pas s'éterniser dans le provisoire», concède M. Caïd Essebsi, en poste depuis un mois et qui affirme «ne pas avoir l'intention de changer la date». Pour l'instant.

Conscient qu'il est temporairement en poste jusqu'aux élections et sous surveillance permanente des jeunes «gardiens» de la révolution de janvier, il n'écarte toutefois pas l'hypothèse d'un report «s'il y a un consensus le plus large possible»

Car, à part le vieux mouvement islamiste Ennahda récemment légalisé, les tout nouveaux partis légalisés qui ont fleuri «ne sont pas au meilleur de leur forme» pour se préparer au scrutin, dit-il.

Pour lui, la nouvelle Tunisie n'en est qu'au début: «La révolution ce n'est pas la démocratie, ce n'est que la première porte. Il faut ramer pour aller à la démocratie». «Il y a évidemment des risques de dérives, ceux qui sont aux responsabilités doivent être vigilants. Nous le sommes», assure-t-il, non sans exclure de possibles «accidents de parcours».

Avec ses deux millions de membres revendiqués, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali, pourrait-il constituer un obstacle sur la route de la démocratie, bien que dissous sur le papier par la justice? Béji Caïd Essebsi ne le pense pas même s'il «peut renaître de ses cendres» sous une autre appellation. «Certains y travaillent».

Est-ce un risque pour la démocratie balbutiante? «Pas du tout», assure-t-il dans une quasi-plaidoirie pour l'ancien parti qu'il estime avoir été dévoyé par le clan Ben Ali: «Beaucoup de patriotes en ont été écartés, et dans le RCD, il n'y a pas que des monte-en-l'air».

«Ce n'est pas en trois ou quatre mois qu'il se refera une virginité», dit-il encore, en excluant une chasse aux sorcières: «Je ne crois pas à la justice expéditive et collective», et préconisant juste un «coup de tamis» de l'appareil judiciaire.

Quant au péril islamiste dans un pays arabo-musulman pionnier sur le droit des femmes, il n'y croit pas. «Ce courant ne peut être combattu que par un mouvement d'idées. La majorité des Tunisiens, si on leur propose un autre choix que la dictature ou l'islamisme, iront vers des formations moyennes», analyse-t-il.

C'est lui qui en tout cas s'est récemment et personnellement opposé à la légalisation du mouvement islamiste Hezb et Tahrir, «un parti xénophobe».

Malgré une croissance «presque à zéro», le libéral Béji Caïd Essebsi sait enfin que l'avenir démocratique du pays se joue largement sur sa capacité à répondre aux revendications sociales de millions de gens en désespérance: «La Tunisie retravaille et nos exportations ont augmenté de 5% pendant la période de la révolution».