Près de 280 personnes ont été tuées mercredi en Égypte dans la dispersion sanglante au Caire des manifestations réclamant le retour du président islamiste Mohamed Morsi destitué par l'armée et dans les violences qui ont vite gagné l'ensemble du pays.

Les autorités ont indiqué que 235 civils et 43 policiers avaient péri à travers le pays. Mais le bilan est probablement bien plus élevé, un journaliste de l'AFP ayant décompté 124 cadavres sur la seule place Rabaa al-Adawiya, QG des manifestants pro-Morsi au Caire, où le ministère de la Santé a fait état de 61 morts.

Alors que le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei a démissionné de son poste de vice-président, refusant «d'assumer les conséquences de décisions avec lesquelles il n'était pas d'accord», le Premier ministre nommé par l'armée, Hazem Beblawi, a, lui, salué la police pour «sa très grande retenue».

A l'issue d'une journée de heurts meurtriers, les autorités ont décrété l'état d'urgence et un couvre-feu dans la moitié des provinces, dont celles du Caire et d'Alexandrie. Une heure après l'entrée en vigueur de ce couvre-feu, des responsables de la sécurité ont indiqué à l'AFP que le calme était revenu dans l'ensemble du pays.

Calme précaire

Un calme qui pourrait toutefois n'être que temporaire, la tension restant à son comble dans le pays où les islamistes ont appelé à de nouvelles manifestations tandis que les forces de l'ordre prévenaient qu'elles n'accepteraient aucun nouveau sit-in, après avoir pris le contrôle des deux places du Caire où des pro-Morsi campaient depuis un mois et demi.

La communauté internationale, qui avait tenté une médiation pour éviter une issue dramatique au bras de fer entre pro-Morsi et nouveau pouvoir, a condamné l'usage de la violence pour disperser les deux rassemblements de milliers d'islamistes venus avec femmes et enfants réclamer le retour au pouvoir du premier président élu démocratiquement du pays.

M. Beblawi est apparu à la télévision pour assurer qu'«aucun État qui se respecte n'aurait toléré» ces sit-in qui duraient depuis un mois et demi, s'engageant dans le même temps à poursuivre la mise en oeuvre du processus qui doit conduire à des élections début 2014.

A Washington, le secrétaire d'État américain, John Kerry, a exhorté à organiser ces scrutins, condamnant un bain de sang «lamentable». La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton qui, la première, avait tenté une médiation au Caire, a réclamé la levée de l'état d'urgence «dès que possible».

Sur la place Rabaa, un journaliste de l'AFP a compté 124 cadavres --dont plusieurs atteints par balles-- dans une morgue de fortune. En outre, un caméraman de la chaîne britannique Sky News y a été tué par balle.

Les Frères musulmans ont de leur côté annoncé que la fille de 17 ans d'un de leurs principaux dirigeants, Mohammed al-Beltagui, avait également été tuée par balle. Au total, les Frères parlent de 2200 morts et plus de 10 000 blessés.

«Les instructions étaient de n'utiliser que les gaz lacrymogènes, pas d'armes à feu», a assuré le ministre de l'Intérieur. «Mais quand les forces de sécurité sont arrivées, elles ont été surprises par des tirs nourris».

Condamnations internationales

Après la dispersion, des heurts avaient eu lieu dans différents quartiers du Caire et fait plusieurs morts dans d'autres villes.

A Alexandrie, deuxième ville du pays, un journaliste de l'AFP a fait état d'échanges de tirs nourris à l'arme automatique.

En outre, au moins quatre églises ont été attaquées, les militants accusant les pro-Morsi de mener «une guerre de représailles» contre les coptes, dont le patriarche avait lui aussi soutenu la décision de l'armée de destituer M. Morsi, toujours retenu au secret.

Face aux violences meurtrières, M. ElBaradei, qui avait apporté sa caution morale à la destitution de M. Morsi le 3 juillet par les militaires, a démissionné, mettant au jour les profondes divisions au sein des autorités de transition installées par la toute-puissante armée.

Il avait à plusieurs reprises plaidé pour une solution politique à la crise, répétant que les Frères musulmans devaient participer à la transition.

Dans la matinée, une autre figure morale s'était désolidarisée de l'opération meurtrière des forces de l'ordre: l'imam d'Al-Azhar, plus haute autorité de l'islam sunnite, qui avait expliqué n'avoir pas eu connaissance des méthodes que les forces de l'ordre comptaient employer.

Paris a appelé à «l'arrêt immédiat de la répression» et saisi l'ONU «pour qu'en urgence une position internationale soit prise en ce sens». Son secrétaire général Ban Ki-moon a, lui, «condamné dans les termes les plus fermes les violences».

Ankara, qui s'était opposé à la destitution de M. Morsi, l'Iran et le Hamas palestinien ont dénoncé un «massacre».

Le Qatar, principal soutien des Frères musulmans, a dénoncé «la méthode utilisée contre des manifestants pacifiques», tandis que Berlin lançait un appel au calme dans le pays, où les violences entre pro et anti-Morsi et entre pro-Morsi et forces de l'ordre avaient auparavant fait plus de 250 morts depuis fin juin, essentiellement des manifestants islamistes.

Photo: AFP

Le Premier ministre nommé par l'armée, Hazem Beblawi, a salué la police pour «sa très grande retenue», lors d'une intervention télévisée mercredi.