L'armée syrienne a pris le contrôle dimanche de Jisr al-Choughour où elle mène une vaste opération qui a entraîné la fuite en Turquie de milliers d'habitants, suscitant de vives condamnations internationales.

Des violents heurts ont été rapportés dans cette ville du nord-ouest du pays dans laquelle les troupes du régime de Bachar al-Assad sont entrées dimanche matin. En fin de journée, la télévision a annoncé que les soldats en avaient entièrement pris le contrôle et pourchassaient les «éléments armés» dans les fôrets et montagnes environnantes.

Cette ville de 50 000 habitants, désertée par la population depuis que des violences ont éclaté il y a plus d'une semaine, est située dans le gouvernorat d'Idleb -330 km au nord de Damas-, où l'armée mène depuis vendredi une opération d'envergure destinée à mater la forte protestation anti-régime.

Après la Maison-Blanche qui, samedi, a accusé Damas d'avoir provoqué une «crise humanitaire», Paris a dénoncé dimanche une «menace pour la stabilité régionale» et exigé l'arrêt de la répression «de plus en plus brutale».

Fuyant l'avancée des soldats, plus de 5000 Syriens se sont réfugiés en Turquie, distante de Jisr al-Choughour d'une quarantaine de kilomètres, et des milliers d'autres attendent encore de l'autre côté de la frontière.

«Ils sont en train d'attaquer à Jisr al-Choughour avec des chars, des hélicoptères et de l'artillerie lourde», a raconté Ali, un réfugié syrien rencontré par l'AFP du côté turc de la frontière.

Présent dans la ville meurtrie, un militant a dit à l'AFP par téléphone que tôt dimanche matin «l'armée a commencé à pilonner d'une manière intense la ville à partir de chars et avec des armes lourdes».

À l'origine de ce ratissage, des affrontements avec des «groupes armés» selon le régime. Des témoins évoquent plutôt une mutinerie et une répression sanglante des autorités.

«Il y a maintenant une séparation au sein de l'armée et un groupe essaie de protéger les gens: il a fait sauter deux ponts», a ajouté Ali, affirmant tenir ces informations de personnes qui ont fui la ville dimanche pour la frontière.

En reprenant la ville, les militaires ont découvert «une fosse commune» contenant les dépouilles des agents tués lors de l'attaque du QG de la Sécurité, le 6 juin, a annoncé la télévision. Selon Damas, 120 policiers ont été tués ce jour-là par des «groupes armés», dont 82 au QG.

Mais des opposants et des témoins ont contesté la version officielle et ont affirmé que les policiers avaient péri lors d'une mutinerie.

Les restrictions imposées aux médias étrangers par les autorités empêchent toute vérification indépendante.

Croisé sur le même chemin qu'Ali, Mohamed, 24 ans, a affirmé de son côté que «le régime est en train d'armer toutes les familles alaouites». La communauté alaouite, issue d'une ramification de l'islam chiite, est minoritaire en Syrie (10 % de la population) mais constitue un pilier du régime dirigé par Bachar al-Assad, qui en fait lui-même partie.

Le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a promis qu'Ankara garderait ses frontières ouvertes aux réfugiés syriens, qui ont encore été 400 à arriver dans la seule nuit de samedi à dimanche.

«Mais il est plus difficile maintenant de s'approcher de la frontière: les soldats et les policiers en civil empêchent les voitures de réfugiés de passer», a précisé Mohamed.

Depuis le 15 mars, plus de 1200 opposants sont morts et 10 000 autres ont été arrêtés, selon des ONG.

La Maison-Blanche a haussé le ton samedi en appelant Damas «à cesser cette violence, et à donner au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) un accès immédiat et sans entraves à cette région».

Même demande pour un accès «immédiat et illimité» pour la Croix-Rouge exprimée dimanche par l'Italie et la France.

«La France condamne fermement la poursuite de plus en plus brutale de la répression en Syrie, y compris avec l'utilisation d'armes lourdes comme à Jisr al-Choughour», a déclaré le Quai d'Orsay.

«Cette situation inacceptable, qui alourdit encore le bilan des victimes civiles en Syrie, crée une menace pour la stabilité régionale. Elle doit cesser», a ajouté Paris.

La France tente depuis plusieurs semaines avec d'autres pays européens d'obtenir une déclaration du Conseil de sécurité de l'ONU condamnant la répression en Syrie. Elle se heurte jusqu'à présent à une menace de veto de la Russie.

«La situation dangereuse qui prévaut actuellement rend particulièrement urgente une réaction claire du Conseil de sécurité», a plaidé le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, relayant l'appel de Londres pour une «position claire».

De son côté, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon s'est dit «très triste et très inquiet» et a demandé au président Assad de «prendre des mesures immédiates et décisives et écouter son peuple».