Difficile d'imaginer ce qu'ont en commun une femme qui porte la burqa et un nain qui se fait lancer dans une discothèque. La classe politique française ne se lasse pas pour autant de dresser un surprenant parallèle entre les deux dans le débat sur le port du «voile intégral».

Le ministre de l'Immigration, Éric Besson, l'a fait notamment lors d'une récente entrevue à la radio.

«Souvenez-vous (...) de ces nains dans des boîtes de nuit qui étaient lancés. Ils étaient volontaires et gagnaient de l'argent, même beaucoup d'argent. Et qu'a dit la République? Le lancer du nain est intolérable», a-t-il expliqué en parlant d'une décision rendue par le Conseil d'État en 1995.

 

La plus haute juridiction administrative du pays avait alors validé l'interdiction, par la municipalité de Morsang-sur-Orge, près de Paris, d'une activité de lancer du nain prévue dans une discothèque située sur son territoire.

Les juges avaient relevé que le fait de lancer «comme un projectile une personne affectée d'un handicap physique» portait atteinte à la dignité humaine et pouvait être interdit même si la personne concernée était d'accord.

De leur plein gré

«Vous ne pouvez pas abandonner, aliéner votre propre dignité, même volontairement», résume M. Besson, qui voit là une piste pour interdire aux femmes de porter la burqa et le niqab, même lorsqu'elles le font de leur plein gré.

À l'instar du ministre de l'Immigration, d'autres élus de droite comme de gauche ainsi que des militants féministes ont ramené sur la table la décision du Conseil d'État, qui concernait au premier chef un résidant de Moselle souffrant de nanisme, Manuel Wickenheim.

Au motif que l'interdiction le privait de son gagne-pain et donc de sa «dignité», il avait demandé à la Cour européenne des droits de l'homme et au Comité des droits de l'homme des Nations unies de casser la décision du Conseil d'État, sans succès.

Aujourd'hui dans l'informatique, il ne s'émeut pas outre mesure de voir sa cause évoquée dans le débat sur la burqa.

«S'il n'y avait pas eu le lancer du nain, ils auraient trouvé autre chose», a dit M. Wickenheim à La Presse.

«En France, on ne peut pas faire ce qu'on veut de sa vie. Moi, je faisais un truc hors normes et ils m'ont sucré là-dessus», explique l'homme de 43 ans.

Son avocat, Serge Pautot, ne croit pas que l'évocation de la notion de dignité humaine, trop vague, soit opportune pour interdire la burqa ou le niqab. Le principe de laïcité de l'État inscrit dans la Constitution suffit, selon lui.

«Avec le voile intégral, il y a un appel constant à la religion... Or, on ne veut pas de prosélytisme. Il ne faut pas afficher ses convictions de manière ostentatoire», souligne-t-il.

Une «menace»

Dans leur rapport sur le voile intégral, les membres de la mission parlementaire chargée de faire le point sur la question ont aussi évoqué la jurisprudence créée par le cas de M. Wickenheim.

Bien que le voile intégral constitue à leurs yeux une «incontestable» atteinte à la dignité de la personne, les élus pensent qu'il serait difficile de baser une loi sur ce concept.

La jurisprudence suggère que la notion de dignité humaine vise d'abord à protéger les individus contre des abus perpétrés par un tiers et non contre eux-mêmes, précisent les élus, qui suggèrent plutôt d'utiliser l'argument du maintien de l'ordre public pour soutenir une éventuelle interdiction.

Dans cette optique, le fait de «dissimuler son visage dans l'espace public» serait décrit comme une «menace».

La question de la meilleure avenue juridique à suivre vient d'être posée par le gouvernement au Conseil d'État, qui doit remettre un avis au premier ministre, François Fillon, à la fin du mois de mars. Il a précisé, à l'appui de sa demande, qu'il souhaitait parvenir à l'interdiction «la plus large» possible.

Bien qu'il ne cache pas son aversion pour la burqa, M. Wackenheim pense que les élus feraient mieux de s'occuper de dossiers «plus importants».

«L'État doit prendre les gens comme ils sont», conclut-il.