Le gouvernement chinois, qui se targue depuis le début de la pandémie de COVID-19 de gérer la situation de manière exemplaire, s’entête à défendre la qualité de son approche alors que la population est aux prises avec une flambée de cas meurtrière faisant crouler les salons funéraires sous la demande.

La dichotomie entre le discours officiel sur l’impact de l’abandon récent des restrictions sanitaires longtemps imposées au pays et la réalité vécue sur le terrain est de nature à alimenter la défiance de la population, prévient Guy Saint-Jacques, ex-ambassadeur du Canada en Chine.

« Je pense que ça risque de miner dans l’esprit du public chinois l’idée de la supériorité du Parti communiste et de sa capacité en matière de gestion. Jusqu’à tout récemment, les gens avaient une foi aveugle dans le régime et étaient d’accord avec l’idée qu’il savait ce qu’il faisait », relève l’analyste.

Le président chinois Xi Jinping est aussi plus susceptible, dit M. Saint-Jacques, de voir sa prétendue « invincibilité » contestée par un nombre croissant de Chinois, bien qu’il ait réussi à l’automne à consolider son emprise sur le pouvoir lors du dernier congrès national de la formation communiste.

Après la détection des premiers cas d’infection à la fin de 2019 dans la région de Wuhan, Pékin a mis en place de sévères restrictions prévoyant des confinements à grande échelle et de longues quarantaines qui sont demeurées la norme pendant près de trois ans alors que d’autres pays commençaient à relâcher leurs contrôles.

L’arrivée d’Omicron et de ses sous-variants hautement transmissibles ainsi que la grogne populaire croissante relativement aux restrictions ont cependant mené à un changement de cap radical, début décembre, qui a permis au virus de se propager rapidement dans la population chinoise de plus de 1 milliard d’habitants.

Le régime se borne à déclarer depuis une poignée de décès par jour alors que des études évoquent la possibilité de 5000 décès quotidiens et plus de 1 million de morts au total.

Des chiffres « complètement absurdes »

Alain Lamarre, spécialiste en immunologie et en virologie de l’Institut national de recherche scientifique, note que les chiffres officiels de décès avancés par Pékin sont « complètement absurdes » et « ne reflètent pas du tout la réalité ».

Les autorités chinoises, qui présentent la levée soudaine des restrictions sanitaires comme une simple « optimisation » de leur approche, ne comptabilisent officiellement que quelques causes de décès pouvant être imputées au virus, note M. Lamarre, offrant un portrait faussé de la situation.

Si on laisse le variant Omicron circuler dans une population largement épargnée jusque-là en termes d’infections et qui est moins bien vaccinée, c’est inévitable qu’il va y avoir une montée exponentielle des cas et une forte augmentation des décès. C’est mathématique.

Alain Lamarre, spécialiste en immunologie et en virologie de l’INRS

De fait, les dirigeants de certaines provinces chinoises avancent aujourd’hui qu’une majorité de leur population a désormais été infectée, mais restent peu loquaces sur les cas graves et leurs conséquences.

La semaine dernière, un expert de l’Organisation mondiale de la santé, le DMike Ryan, a déclaré que les données chinoises « minimisaient l’impact véritable de la maladie, particulièrement en ce qui a trait aux décès ».

Afin de tenter de donner un portait plus juste de la gravité de la situation, le Washington Post a analysé des images satellitaires suggérant une forte augmentation de l’utilisation des salons funéraires de plusieurs grandes villes du pays. Certains ont agrandi récemment leur stationnement pour pouvoir accueillir plus de véhicules.

PHOTO NOEL CELIS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Les proches d’un défunt qui a été incinéré assistent à ses obsèques dans un salon funéraire de la ville de Jinghong, dans la province du Yunnan, dans le sud de la Chine.

Le quotidien a aussi analysé plusieurs vidéos montrant de longues files de personnes attendant, même la nuit, pour pouvoir obtenir un rendez-vous en vue de faire incinérer un proche. Un témoin a relevé qu’il avait dû conserver la dépouille de son père cinq jours à la maison avant de réussir.

La grogne augmente

Guy Saint-Jacques pense que le gouvernement chinois était bien conscient de l’impact qu’aurait la levée des restrictions sanitaires sur ce plan mais ne pouvait faire autrement que de procéder, non seulement à cause de la grogne populaire, mais aussi de l’impact draconien des restrictions sanitaires sur l’économie du pays.

Beaucoup de gouvernements locaux ont dégagé des sommes considérables pour mettre en place l’infrastructure liée à l’approche « zéro COVID-19 », qui a forcé par ailleurs la fermeture de nombreuses usines.

Xi Jinping, qui se montrait mal disposé envers le secteur privé, a changé son discours depuis peu et vise à encourager les investissements pour relancer la croissance, prévient M. Saint-Jacques.

Il s’attend à ce que la grogne des Chinois aille en augmentant à mesure que les voyages à l’étranger reprendront et leur permettront de constater de visu que le reste de la planète est passé depuis longtemps à une approche plus permissive en matière sanitaire.

« Même si les censeurs s’activent pour effacer les messages critiques sur les réseaux sociaux, c’est clair que les gens vont venir à la conclusion que le gouvernement a été fautif et qu’il aurait eu le temps de développer une stratégie de transition plus acceptable », conclut l’ex-ambassadeur.