(Bangkok) La Cour constitutionnelle thaïlandaise a suspendu mercredi le premier ministre Prayut Chan-O-Cha, le temps de déterminer s’il peut rester au-delà de la limite de huit ans au pouvoir fixée par la Constitution, ouvrant une crise politique à quelques mois des élections législatives.

Cette instance peut mettre plusieurs semaines avant de trancher ce nœud juridique qui a mis sous tension la capitale Bangkok, où des manifestations ont eu lieu dès mardi.

Députés de l’opposition, professeurs, syndicats étudiants… De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le départ de Prayut Chan-O-Cha, qui a atteint, selon eux, la limite de huit ans en poste fixée dans la Constitution de 2017.

Mais pour ses partisans, deux interprétations pourraient permettre à l’ancien général de 68 ans, approuvé pour le poste de premier ministre par le roi le 24 août 2014 à la suite d’un coup d’État, de rester jusqu’en 2025 ou 2027, en cas de réélection en 2023.

« Laissons la Cour constitutionnelle décider », s’est borné à dire la semaine dernière l’intéressé, qui a esquivé les questions sur ce sujet brûlant ces derniers jours.  

La Cour constitutionnelle a officiellement entamé mercredi son examen. Elle a voté à cinq juges contre quatre pour suspendre de manière immédiate le chef du gouvernement, comme le demandaient les députés de l’opposition, à l’origine de la saisie.

Anucha Burachaisri, un porte-parole du bureau du premier ministre, a appelé « tous les groupes » à « respecter les décisions de la Cour et d’éviter de la critiquer. »

Le vice-premier ministre et numéro deux du gouvernement Prawit Wongsuwan, 77 ans, va occuper les fonctions de premier ministre par intérim.

Prawit Wongsuwan pour l’intérim

« Le général Prawit Wongsuwan va être premier ministre par intérim parce qu’il est le premier sur la liste de succession des vice-premiers ministres », a annoncé à la presse Wissanu Krea-ngam, également vice-premier ministre — il y en a six.

PHOTO MADAREE TOHLALA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Prawit Wongsuwan

« Le gouvernement actuel va poursuivre son travail normalement, parce que le général Prayut n’a pas été exclu de son poste, mais seulement suspendu », a-t-il encore dit, rappelant que Prayut Chan-O-Cha continuera à siéger au gouvernement en tant que ministre de la Défense, un poste qu’il occupait en doublon de celui de premier ministre.

Si l’annonce de cette suspension est une surprise, les experts interrogés par l’AFP s’attendent à voir la Cour trancher dans le sens de Prayut Chan-O-Cha, qui a résisté à toutes les crises depuis 2014, notamment au moment des manifestations massives pour la démocratie de 2020.

« La longue liste des décisions à sens unique qui ont bénéficié à Prayut Chan-O-Cha parle d’elle-même […] Le scénario le plus probable, c’est qu’il avance en claudiquant jusqu’à la fin de son mandat, au-delà de la limite des huit ans », a expliqué Thitinan Pongsudhirak, professeur de sciences politiques à l’Université Chulalongkorn de Bangkok.

En cause, la Constitution de 2017, rédigée sous la junte et jugée favorable aux intérêts de l’armée.

« La légitimité de la Cour constitutionnelle est débattue depuis sa création (en 1997, NDLR). Elle était déjà politisée quand Thaksin Shinawatra était premier ministre (2001-2006, NDLR). C’est attendu qu’elle tranche en faveur de Prayut Chan-O-Cha », a renchéri Napisa Waitoolkiat, analyste politique à l’université de Naresuan.

Élections en vue

Une lecture dans le sens des intérêts de Prayut de ce texte prend comme point de départ du calcul des huit ans 2017, soit l’entrée en vigueur de la Constitution.  

Une autre prend même comme point de départ 2019, l’année des élections législatives qui ont légitimé son pouvoir.

Depuis mardi, des conteneurs déposés par les autorités barrent la route qui mène à la maison du gouvernement à Bangkok, où plus de cent personnes ont réclamé le départ du premier ministre.

La suspension pourrait rebattre les cartes en vue des législatives de 2023.

Ancien général comme Prayut Chan-O-Cha dont il est très proche, Prawit Wongsuwan est également le chef du Palang Pracharat, le principal parti au pouvoir.

Il a été rattrapé en 2018 par un scandale qui a mis au jour plus d’un million d’euros de montres de luxe non déclarées dans son patrimoine. Il a été plus tard disculpé des soupçons de corruption.

Les États-Unis, alliés historiques de la Thaïlande, ont déclaré qu’ils prévoyaient de maintenir leur engagement envers le royaume, où le secrétaire d’État Antony Blinken s’est rendu le mois dernier.

Washington « respecte le processus et les institutions démocratiques de la Thaïlande », a déclaré à la presse le porte-parole du département d’État, Vedant Patel.