(Hong Kong) Les néons, qui s’éteignent un à un dans les rues de Hong Kong, réputées jadis pour leurs enseignes lumineuses en pagaille, réapparaissent dans les ateliers d’une nouvelle génération d’artistes connectés au monde, aux technologies et à leur passé, mais les anciens se montrent réticents à transmettre leur savoir-faire.

Au-dessus d’une flamme bleue pouvant atteindre 1000 °C, un tube de verre approche de son point de fonte, avant que Karen Chan ne le torde et souffle dedans pour lui donner la forme voulue.

La jeune femme, connue sous son nom d’artiste Chankalun, a longtemps été fascinée par les néons qui baignaient les rues de lumières chaleureuses.  

Le projet actuel de Mme Chan, seule femme à Hong Kong travaillant dans un secteur dominé par les hommes, s’intitule « The Neon Girl » et l’amène à travailler avec une demi-douzaine de maîtres du néon à travers le monde pour créer six pièces distinctes.

On est loin des gigantesques enseignes qui surplombaient les trottoirs de la ville, annonçant toutes sortes de commerces, des restaurants aux salles de mah-jong, avant d’être abandonnées pour se conformer à des réglementations plus strictes ou pour laisser la place à des ampoules DEL moins chères et plus efficaces.

La trentenaire insuffle à ses œuvres un esprit moderne, mais toujours local.

L’apprentissage de cet art fut pour elle un parcours du combattant, tant les maîtres, « si fu » en cantonais, conservent jalousement leurs secrets de fabrication.

Partage des connaissances

« Comme j’adore ce support, j’ai essayé par moi-même et j’ai supplié des maîtres du néon à Hong Kong, mais ils ont refusé de me l’enseigner », se souvient-elle.

« Les “si fu” ne transmettront pas toutes les connaissances, surtout qu’il n’y a pas de guide ou de manuel, ils ne transmettront leurs compétences qu’à leurs propres descendants », se désole Mme Chan lors d’un entretien.

Or, peu de descendants veulent perpétuer une compétence devenue obsolète, et de nombreux maîtres emportent leurs secrets professionnels dans la tombe.

« Si vous avez des compétences ou des connaissances très précieuses, vous devez les diffuser autour de vous pour qu’elles puissent vivre aussi », regrette l’artiste de 33 ans. « La surprotection peut provoquer la mort de beaucoup d’artisanats ».

Sans perdre sa détermination, Karen Chan a surfé sur l’internet et s’est rendue à Amsterdam et New York pour apprendre d’autres artistes.

Celle qui se qualifie désormais de « nomade du néon » y a découvert une communauté mondiale de fans et de professionnels du néon, prêts à partager leurs astuces.

« Il y a une culture de l’open source dans la nouvelle génération d’artistes », se réjouit-elle.

« Tout le monde publie ses expériences et ses nouvelles découvertes sur Instagram ou Facebook et tout le monde est heureux de partager […] ce type de connaissance ».

« Les vieilles générations voient ça comme un artisanat secret ».

Elle travaille aujourd’hui dans l’atelier d’un autre passionné, Jive Lau, 38 ans.

Obstination

Il a pénétré l’art du néon à Taïwan où, dit-il, les maîtres sont plus disposés à partager leur savoir-faire avec des étrangers.

« Je continue d’apprendre avec des ressources sur l’internet et en regardant des vidéos », explique-t-il toutefois.

Aujourd’hui, il propose des ateliers pour un nombre croissant d’amateurs de néon.

« L’éducation peut vraiment aider […] à promouvoir la culture du néon, à la maintenir en vie », explique-t-il.

Ensemble, les deux artistes ébauchent les projets et façonnent les tubes de néons.

« Pour que le néon vive… il faut y injecter d’autres éléments, et c’est ce que je fais, comme la nouvelle génération d’artistes », explique Karen Chan.

Elle espère que ses œuvres « briseront les frontières ou la vision que les gens ont » de son art « et montreront que son utilisation peut être élargie pour prendre une nouvelle forme ».

Pour la jeune femme, plier le verre du néon peut être comparé à un sport olympique qui nécessite force, précision et flexibilité.

Son obstination dans la quête d’un mentor a payé. Après tant de portes fermées, elle a finalement trouvé un « si fu », Maître Wong, pour la prendre sous son aile.

En 2018, elle a créé une pièce en une semaine, après avoir fait appel à un sculpteur sur verre qui a regardé le processus de création des néons sur YouTube pour lui expliquer la technique.

Elle est retournée ensuite chez Maître Wong, 80 ans, qui, impressionné, a accepté de l’accueillir comme apprentie.

« Je pense que les maîtres du néon à Hong Kong ne m’accepteront jamais comme un vrai maître du néon », dit-elle aujourd’hui, « mais peut-être comme une artiste du néon, ce qui me convient ».