La junte responsable du coup d’État survenu en Birmanie, il y a un mois, a « passé un cap » inquiétant dimanche en réprimant dans le sang des manifestations tenues dans plusieurs villes, faisant une vingtaine de morts et des centaines de blessés.

« C’était peut-être une tentative d’intimidation, mais ça n’a pas calmé le jeu puisque les gens ont continué [lundi] de défiler en masse dans les rues. J’ai bien peur que l’on se dirige vers une escalade de la violence », note Jean-François Rancourt, un spécialiste du pays rattaché à l’Université de Montréal.

Les militaires continuent de façon « paternaliste » de se poser en protecteurs de l’État face à des manifestants « anarchistes », mais il paraît difficile de croire qu’ils jugent cette rhétorique crédible alors que les dénonciations émanant de la communauté internationale se multiplient, relève l’analyste.

La junte se montre peu sensible aux critiques et n’affiche aucun signe de fléchissement face au soulèvement populaire suscité par la suspension du gouvernement civil de l’ex-lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, aujourd’hui incarcérée à l’instar de plusieurs dirigeants de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (LND).

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Des manifestants tiennent des affiches à l’image d’Aung San Suu Kyi lors d’un rassemblement contre le coup d’État militaire à Naypyidaw, en Birmanie, dimanche.

Les responsables du coup d’État savent pouvoir compter, pour se protéger contre une action résolue du Conseil de sécurité des Nations unies, sur l’appui de la Russie et plus particulièrement de la Chine, qui dispose d’importants intérêts économiques dans le pays. Les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU, y compris la Chine, envisagent d’ailleurs de tenir cette semaine une nouvelle réunion sur la situation en Birmanie, a appris lundi l’AFP de sources diplomatiques.

Les militaires ont notamment fait savoir qu’ils entendaient relancer un projet hydroélectrique controversé dans l’État kachin devant desservir la Chine. La Birmanie permet par ailleurs à Pékin d’acheminer efficacement vers son territoire d’importantes quantités de pétrole et de gaz à partir du golfe du Bengale.

Ces liens diplomatiques seront mis à profit dans les prochaines semaines alors que se multiplient les appels au durcissement des sanctions visant la junte, qui a évoqué de prétendues fraudes survenues lors des élections législatives de novembre pour justifier la reprise en main du pouvoir et la persécution des leaders de la LND.

Comparution d’Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi, qui était déjà poursuivie officiellement pour avoir importé des walkies-talkies et violé des règles sanitaires, a comparu lundi par vidéoconférence pour être formellement inculpée sous deux chefs additionnels, y compris celui d’avoir disséminé des informations pouvant « troubler l’ordre public ».

Lors des dernières élections, son parti a remporté environ 80 % des sièges en jeu dans les deux chambres, en légère hausse par rapport au scrutin précédent.

Le résultat, quoique positif, n’était pas vraiment menaçant pour les militaires, estime M. Rancourt, puisqu’un quart des sièges leur sont réservés d’emblée et leur confèrent une minorité de blocage permettant d’empêcher toute modification constitutionnelle jugée indésirable.

Les élections et les allégations de fraude « ne sont pas les vraies raisons du coup d’État, mais plutôt l’excuse utilisée pour mettre en place un plan qui était en préparation depuis longtemps », souligne l’universitaire.

En initiant une période de libéralisation politique il y a 10 ans, les militaires souhaitaient tirer profit de l’image d’Aung San Suu Kyi pour faire lever les sanctions économiques visant le pays. Ils misaient aussi, selon M. Rancourt, sur la popularité de la dissidente pour mettre un terme aux conflits en cours avec de nombreux groupes armés liés à des minorités ethniques.

Profiter du déclin

Le déclin de l’image de la Prix Nobel de la paix ayant découlé de son approche passive face à la persécution des Rohingya, ainsi que son incapacité à faire avancer les pourparlers de paix sur le plan intérieur, ont convaincu les militaires, dit le spécialiste, qu’elle ne pouvait plus servir à faire avancer leurs intérêts.

Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a dénoncé dimanche la flambée de violence « inacceptable » découlant du coup d’État et demandé à la communauté internationale de s’unir « pour envoyer un message clair quant à la nécessité de respecter la volonté de la population birmane ».

Une association de défense des prisonniers politiques birmans établie en Thaïlande a parallèlement fustigé l’action violente des forces de sécurité en relevant que « le terrorisme d’État » s’intensifiait dans le pays.

« Les braves citoyens de la Birmanie envoient un message puissant aux dirigeants de la junte. Vous ne nous vaincrez pas. Nous ne reconnaissons pas et n’accepterons pas votre règne criminel illégitime », a indiqué l’organisation.