(Buenos Aires) Inflation « détruite » d’ici deux ans, privatisations tous azimuts, médias publics dans le viseur : le président désigné argentin, Javier Milei, a réaffirmé lundi un cap économique libéral sans concession.

Il a assuré n’avoir « littéralement » pas dormi dans la nuit ayant suivi sa retentissante victoire, avec 55,6 % des voix, face au ministre de l’Économie sortant, Sergio Massa. Les interlocuteurs étrangers appelaient, « il fallait travailler », a-t-il expliqué.

L’ultralibéral Milei aux positions controversées, contre l’avortement ou encore sur le changement climatique, s’est ainsi entretenu par vidéoconférence avec l’ex-président d’extrême droite brésilien Jair Bolsonaro, qui l’a chaleureusement félicité, et annoncé qu’il viendrait à son investiture le 10 décembre.

La veille, il avait reçu un message de félicitations d’un « très fier » Donald Trump, auquel il est parfois comparé, mais se réfère très rarement dans les faits. Il y a deux mois, il a cependant salué « la défense des idées de liberté » et « la lutte contre le socialisme » de l’ancien président américain.

À l’aube, un Milei combatif a donné une série d’interviews à la radio, réaffirmant, et détaillant un peu, sa détermination à faire prendre un virage radical à l’économie argentine. Dans la lignée d’un discours de victoire où il a averti : « pas de demi-mesures ».

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Des partisans de Javier Milei célèbrent sa victoire dans les rues de Buenos Aires.

Vaincre l’inflation chronique, qui à 143 % sur un an exténue les Argentins ? « Si l’on réduit aujourd’hui l’émission monétaire, ce processus prendrait entre 18 et 24 mois », a-t-il estimé, souhaitant « la détruire et la ramener aux niveaux internationaux les plus bas ».

Tempérant certains espoirs – mais aussi des craintes –, l’économiste ultralibéral de 53 ans a assuré qu’il ne lèverait pas le contrôle des changes immédiatement, sinon « on arriverait à une hyperinflation ».

Dialogue avec le FMI

Mais M. Milei a surtout répété que son programme de privatisations serait de grande portée : « Tout ce qui peut être dans les mains du secteur privé le sera ».

Il a ainsi cité le géant pétrolier YPF, nationalisé en 2012 sous la présidence péroniste de Cristina Kirchner. Mais aussi des médias publics comme l’agence officielle Telam et la télévision TVP, « devenue un mécanisme de propagande », a-t-il dénoncé dans une autre interview sur Radio Mitre.

Et il a réaffirmé sa volonté d’éliminer, à terme, la Banque centrale, par la dollarisation de l’économie. « La monnaie sera celle que les Argentins choisiront librement. Au fond, tu dollarises pour te débarrasser de la Banque centrale. » Il n’a pas donné d’échéancier.

Concernant le Fonds monétaire international (FMI), auquel l’Argentine peine à rembourser un prêt de 44 milliards de dollars octroyé en 2018, M. Milei a assuré que son équipe « dialogue depuis un bon moment avec les gens du FMI ».

La directrice du FMI, Kristalina Georgieva, a félicité lundi M. Milei et a espéré « collaborer étroitement » avec lui en vue d’un plan à même « de protéger la stabilité macroéconomique et renforcer la croissance inclusive pour tous les Argentins ».

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La directrice du FMI, Kristalina Georgieva

Mais le programme d’ajustement du Fonds « est mort », estime le nouveau président, car l’Argentine est selon lui bien au-delà des objectifs de déficit budgétaire, « près de 3 % du PIB au lieu de 1,9 % ».

Il faut corriger cela « le plus vite possible », et « on va commencer par une réforme de l’État, remettre les comptes publics en ordre très rapidement », a promis celui qui, lors de ses rassemblements électoraux, brandissait régulièrement une « tronçonneuse » contre la dépense publique.

Ajustement « inexorable »

« L’ajustement, il faut le faire, inexorablement, la grande différence est que la ‟caste” le faisait payer aux gens, et nous, on le fera payer à la ‟caste et ses associés” », a-t-il encore avancé, en référence à l’élite au pouvoir ces dernières années.

Lundi étant un jour férié en Argentine, il était difficile d’évaluer la réaction des marchés à la victoire de M. Milei et son impact en particulier sur le peso, de l’avis général notoirement surévalué à 369 pour un dollar aux taux officiels (trois fois plus au marché parallèle).

Jusqu’à son investiture, « la période va être plus compliquée, plus bruyante » que si M. Massa, au programme plus prévisible du point de vue des marchés, avait gagné, prédisait l’économiste Elisabet Bacigalupo, du cabinet Abeceb.

Par ailleurs, cherchant à rassurer sur l’avenir de l’éducation et de la santé publique, M. Milei a rappelé lundi qu’ils « ne peuvent pas se privatiser, car ils sont du ressort des provinces », l’Argentine étant un État fédéral. Sur ces sujets, il a dénoncé une « campagne de peur » contre lui.

Pas un mot par contre sur des thèmes controversés, que M. Milei a esquivés de plus en plus récemment : le changement climatique – il estime qu’il n’est « pas de la responsabilité de l’homme » – ou l’avortement, légalisé en Argentine en 2021 – il y est opposé, mais n’envisage pas de marche arrière.

Il a enfin indiqué qu’il voyagerait « dans les prochains jours » aux États-Unis – Miami et New York – puis en Israël, mais des déplacements à titre privé, avant sa prise de fonction.

Milei, un voisin gênant pour le Brésil de Lula

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Le Brésil s’inquiète de l’élection de Javier Milei à la tête de l’Argentine et craint que l’ultralibéral ne fasse échouer un accord entre l’Union européenne et le Mercosur, bien que des sources au sein du gouvernement de Lula soient convaincues que le pragmatisme prévaudra entre les deux principaux partenaires commerciaux.

Le candidat libertaire, qui a battu le péroniste Sergio Massa dimanche, a menacé de retirer son pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay) au moment où ce dernier intensifie les négociations avec l’Union européenne pour conclure un accord de libre-échange « le plus rapidement possible ».

Sur le plan bilatéral, M. Milei a assuré que s’il devenait président, il ne rencontrerait pas Luiz Inácio Lula da Silva, qu’il a qualifié de « corrompu » et de « communiste ».

Le chef d’État brésilien a souhaité dimanche « bonne chance » au nouveau gouvernement argentin sans citer nommément le vainqueur.

Mais son conseiller, Celso Amorim, a déclaré lundi à l’AFP que Lula n’assisterait pas à la cérémonie d’investiture de l’Argentin le 10 décembre, car il avait été « personnellement offensé ».

Marcelo Silva De Sousa, Agence France-Presse