(Mexico) En poursuivant les grands fabricants d’armes américains devant un tribunal des États-Unis, le Mexique cherche à montrer la responsabilité de son puissant voisin dans les violences liée à la drogue.

En tout neuf fabricants et deux distributeurs - dont Smith & Wesson, Beretta, Colt, Glock, Century Arms, Ruger et Barrett - sont depuis début août dans le collimateur du gouvernement mexicain qui considère « illicite » le commerce de leurs armes encourageant le trafic de drogue et la violence sur son territoire.

En engageant cette procédure devant un tribunal de Boston, Massachusetts, « le Mexique réussit vraiment à dire qu’il s’agit d’un problème bilatéral », explique Cecilia Farfán, responsable de la recherche sur les questions de sécurité au Center for US-Mexico Studies de l’université de Californie à San Diego.

« De la même manière que les États-Unis disent “j’ai besoin que vous fassiez quelque chose contre le commerce illicite de la drogue”, le Mexique dit “j’ai besoin que vous fassiez quelque chose contre les armes à feu” », souligne-t-elle.

Les autorités mexicaines estiment qu’entre 70 % et 90 % des armes retrouvées sur les scènes de crime au Mexique proviennent d’un trafic depuis les États-Unis.

Certaines de ces armes, des fusils Barrett de calibre 50, des pistolets Smith and Wesson et des fusils Ruger et Colt, ont aussi été retrouvées après l’attentat de juin 2020 contre le chef de la police de Mexico, Omar Garcia Harfuch, indique la plainte déposée par le Mexique.

Selon le ministre mexicain des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard, cette procédure sans précédent vise à obliger les entreprises américaines non seulement à indemniser financièrement le Mexique pour les dommages causés au fil des ans, mais aussi à mettre en œuvre des mesures de contrôle et de discipline à l’égard de leurs distributeurs.

Bien que l’issue du litige soit incertaine, « l’objectif est à la fois symbolique et politique pour ouvrir le débat », estime Romain le Cour, spécialiste du cabinet de conseil Noria Research.

Le Mexique, qui compte 126 millions d’habitants, est en proie à une vague de violence depuis 2006, date à laquelle le gouvernement du président de l’époque, Felipe Calderón (2006-2012), a lancé une opération militaire contre les cartels de la drogue.

En pièces détachées ou en état de marche

De nombreuses armes arrivent sur le territoire mexicain dans le cadre de ce que l’on appelle communément « l’opération hormiga » : des intermédiaires achètent de petites quantités d’armes aux États-Unis, où il est aisé de les acquérir, puis leur font passer la frontière.

« Ils les convoient en pièces détachées ou entières, cachées dans des marchandises de contrebande, dans des vêtements, ou divers articles importés à Ciudad Juárez », explique Jorge Nava, procureur dans le nord de l’État frontalier de Chihuahua.

Un membre d’un groupe d’autodéfense dans l’État de Michoacán (ouest) explique que les armes qu’ils utilisent proviennent parfois de membres de leur famille vivant aux États-Unis.

« Nous avons commencé avec des fusils de chasse, mais les membres du groupe ont des parents aux États-Unis et de là-bas, ils parviennent à nous envoyer des armes à travers la frontière », explique ce combattant sans révéler son identité.

Une personne impliquée dans le trafic d’armes depuis 20 ans, et qui s’exprime aussi sous couvert d’anonymat, fait également remarquer que les expéditions d’armes en pièces détachées, appelées « armes à 80 pc », destinées à être assemblées au Mexique, sont en augmentation.

« Une option est d’acheter, par exemple, un kit à 80 pc pour les armes à canon long ou court aux États-Unis. Il suffit de les assembler et cela est légal. Avec ça on peut construire une armée », affirme ce trafiquant.

« Bouc émissaire »

Le gouvernement mexicain affirme que son action en justice ne vise pas à outrepasser les lois fédérales des États-Unis, notamment le deuxième amendement, qui autorise les citoyens américains à posséder des armes à feu.

Toutefois, la National Shooting Sports Foundation (NSSF), une association commerciale américaine pour l’industrie des armes à feu, basée à Newport, Connecticut, juge que seul le Mexique est responsable de l’application des lois sur son territoire.

« Au lieu de faire des entreprises américaines respectueuses de la loi des boucs émissaires, les autorités mexicaines feraient mieux de traduire les cartels en justice », ont-elles déclaré dans un communiqué.

À quoi les autorités mexicaines affirment que les fabricants américains produisent des modèles spécialement conçus pour les besoins des barons de la drogue.

Selon le même trafiquant mexicain, les autorités de son pays sont également responsables du problème.

« Les autorités mexicaines laissent passer tout ce qui vient des États-Unis sans vérifier en profondeur ce qui passe de l’autre côté, sans contrôles adéquats, et aussi à cause de la grande corruption qui règne dans les douanes », affirme-t-il.