Forces putschistes et loyales au président Pierre Nkurunziza se sont affrontées à l'arme lourde pour le contrôle stratégique de la radio nationale burundaise, restée aux mains des troupes fidèles au chef de l'État jeudi en fin d'après-midi, 24h après une tentative de coup d'État à l'issue toujours incertaine.

Pour la première fois depuis le début du putsch mercredi, des morts ont été constatés: un journaliste de l'AFP a vu trois cadavres de militaires à environ un kilomètre du site de la Radio et Télévision nationale burundaise (RTNB). Un blindé y était également embouti dans le caniveau et le sol jonché de douilles de balle, signe de la violence des combats.

Les hommes réunis derrière le général putschiste Godefroid Niymbare, ex-compagnon d'armes de Nkurunziza, ont tenté à deux reprises, en vain, de prendre aux forces d'élite postées autour de ce bâtiment symbole du pouvoir.

La première offensive a été lancée à l'aube, la seconde en début d'après-midi. Un journaliste de l'AFP a alors pu entendre des rafales de tirs de mitrailleuses ponctuées de tirs d'obus.

L'offensive de l'après-midi a duré deux bonnes heures mais les putschistes n'ont pas pu venir à bout de leurs adversaires, qui, selon des sources au sein de la radio, avaient eu le temps de renforcer leurs rangs et de s'équiper d'un blindé.

Le directeur général de la RTNB a annoncé l'échec de l'offensive sur ses ondes, assurant que la situation était «maîtrisée» et que «ce sont toujours les soldats loyalistes qui contrôlent la RTNB».

La radio a aussi rediffusé un message téléphonique de Pierre Nkurunziza, bloqué en Tanzanie, largement inaudible mais sur lequel la voix du chef de l'État est reconnaissable.

Le contrôle de la RTNB est d'autant plus crucial que les trois principales radios privées du pays - la très populaire RPA, Radio Bonesha et Insaganiro - et la principale télévision indépendante, Télé Renaissance, qui diffusaient les messages des putschistes n'émettent plus.

Elles ont été elles-mêmes attaquées, parfois à la roquette, selon leurs patrons, par des forces pro-Nkurunziza et trop endommagées.

Les radios indépendantes étaient déjà dans le collimateur du gouvernement depuis le début des manifestations le 26 avril contre un troisième mandat de Pierre Nkurunziza qui ont débouché sur la tentative de coup d'État en l'absence du pays du dirigeant.

Unités d'élite 

Vingt-quatre heures après l'annonce de la destitution de Pierre Nkurunziza par le général Niyombare, ex-patron des services de renseignements, il était toujours impossible de dire qui détenait le pouvoir à Bujumbura.

Le camp putschiste a affirmé contrôler la quasi-totalité de la capitale, dont l'aéroport, également revendiqué par le camp loyaliste, qui, en plus de la RTNB, gardait toujours la présidence.

Des policiers déployés dans le centre de Bujumbura refusaient de dire à qui ils obéissaient, comme les militaires postés plus en périphérie, aux points stratégiques menant vers les quartiers au coeur, depuis près de trois semaines, des manifestations d'opposition à un troisième mandat du président.

Le centre-ville est resté très peu animé jeudi.

«Nous avons eu peur après tous ces tirs dans la nuit», a confié un passant. «Mais comme il y a une accalmie, nous sommes passés voir ce qu'il se passe».

Selon des sources militaires, les putschistes sont organisés autour du 11e Bataillon parachutiste, unité d'élite de l'armée. Le coeur du camp loyal à M. Nkurunziza s'appuie, lui, sur la Brigade spéciale de protection des institutions, avec le soutien de quelques autres unités.

Appels à la retenue 

Selon une source à la présidence tanzanienne, Pierre Nkurunziza est lui toujours dans un lieu tenu secret à Dar es Salaam, où il s'était rendu mercredi pour un sommet régional consacré à la crise politique burundaise déclenchée par sa candidature à la présidentielle du 26 juin.

Mais il est soupçonné de chercher à rentrer dans son pays.

La société civile et une partie de l'opposition mènent la contestation contre cette candidature qu'elles jugent inconstitutionnelle. Mais l'idée d'un troisième mandat du sortant, déjà élu en 2005 et 2010, divisait aussi déjà depuis des mois jusqu'au sein de son parti, le Cndd-FDD.

Personnalité respectée, considéré comme un homme de dialogue, le général Niyombare est d'ailleurs, comme Pierre Nkurunziza, issu de la rébellion hutu qu'était le Cndd-FDD pendant la sanglante guerre civile (1993-2006).

Après le conflit, il était devenu chef d'état-major adjoint, puis chef d'état-major de l'armée. Nommé en décembre 2014 à la tête du Service national de renseignements (SNR), il avait été limogé trois mois plus tard, après avoir déconseillé au président de briguer un troisième mandat.

La communauté internationale, déjà inquiète des tensions qui ne cessaient de croître au Burundi, a multiplié les appels à la retenue depuis mercredi.

La guerre civile, qui a fait quelque 300 000 morts, hante encore les esprits au Burundi. Mais l'histoire post-coloniale de ce petit pays d'Afrique des Grands Lacs, ex-protectorat belge, a été jalonné d'autres massacres interethniques entre Tutsi et Hutu.

L'UA réunie en urgence

Le Conseil de Paix et sécurité de l'Union africaine (UA) a débuté jeudi une réunion d'urgence sur la situation au Burundi, a constaté un journaliste de l'AFP.

Les diplomates n'ont fait aucune déclaration à leur entrée dans la salle du Conseil, au siège de l'organisation à Addis Abeba, en Éthiopie, où la réunion se déroule à huis clos avec la participation de l'ambassadeur du Burundi.

Cette réunion intervient au lendemain d'un sommet de la Communauté de l'Afrique de l'Est consacré à la crise au Burundi à Dar es Salam, en Tanzanie.

Le sommet s'est conclu sur un appel au report des élections prévues en mai et juin au Burundi et à la cessation des hostilités. Un appel que le Conseil de Paix et Sécurité devrait vraisemblablement lancer à son tour.

La présidente de la Commission de l'UA, Nkosazana Dlamini-Zuma, avait condamné mercredi «dans les termes les plus forts» le coup d'État en cours au Burundi et appelé au retour à l'ordre constitutionnel.

«Les principes de l'Union africaine s'opposent à tout changement inconstitutionnel de gouvernement», avait-elle ajouté, en référence à la charte sur la démocratie, les élections et la gouvernance, adoptée en 2007 par les chefs d'État de l'organisation panafricaine.

La chef de l'UA avait auparavant également sévèrement critiqué la tentative du président Nkurunziza de briguer un troisième mandat, justification au coup d'État selon le général putschiste.

«À part la Cour (constitutionnelle) burundaise, toutes les autres interprétations que nous avons de la Constitution est que (...) il ne devrait pas y avoir de troisième mandat», avait-elle dit la semaine dernière dans un entretien à la télévision chinoise CCTV.

«S'il y a une Constitution, elle doit être respectée (...) S'il y a besoin de l'amender, il faut un consensus à travers tout le pays sur son amendement. Cela ne peut pas être fait unilatéralement par une partie de la population», avait-elle ajouté.