Dans un pays où l'homosexualité est illégale, où un grand quotidien publie les photos de «gais présumés» en appelant à les pendre, publier un magazine gai exige beaucoup de courage. C'est pourtant ce que vient de faire la militante lesbienne ougandaise Kasha Jacqueline Nabagesera, avec qui La Presse s'est entretenue.

C'est parce que des journaux ougandais «ont sorti des gais du placard» que Kasha Jacqueline Nabagesera dit avoir eu l'idée de lancer son magazine. Le paradoxe a quelque chose d'ironique: à force de s'en prendre aux minorités sexuelles, les journaux populaires ougandais ont fini par leur donner une voix.

Bombastic, la première revue gaie d'Ouganda, a été lancée en décembre. Les 15 000 exemplaires ont depuis été distribués gratuitement d'un bout à l'autre du pays par une armée de bénévoles, afin de «détruire les mythes, les mensonges et la haine véhiculés à travers le temps», écrit Mme Nabagesera dans son mot de l'éditrice.

Parce que les textes illustrant la réalité et les préoccupations des lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et intersexuels (LGBTI) s'adressent entre autres... aux hétérosexuels, explique à La Presse Kasha Jacqueline Nabagesera.

La militante homosexuelle de 34 ans s'est d'ailleurs assurée que des personnalités politiques importantes en reçoivent un exemplaire. Elle raconte que la rumeur veut que la femme du président du pays - Yoweri Museveni - ait même refusé de l'ouvrir.

Des propositions à la tonne

Trouver du contenu pour remplir les 75 pages du magazine n'a pas été très compliqué. «J'ai reçu plus de 500 articles, mais on ne pouvait pas [tout publier], donc il a fallu choisir», explique Kasha Jacqueline Nabagesera.

Certains auteurs ont préféré utiliser un pseudonyme, d'autres, comme elle, ont écrit à visage découvert, malgré l'oppression dont les homosexuels sont victimes en Ouganda.

Les propositions continuent d'ailleurs d'affluer et pourraient se retrouver dans un deuxième numéro, mais Mme Nabagesera ignore quand elle pourra le produire. «On espère pouvoir publier le plus souvent possible, dit-elle, mais il faut penser à la sécurité des gens qui distribuent [le magazine] et aux coûts d'impression qui sont très élevés.»

Lois antigais

L'arrivée de ce magazine dans le paysage médiatique ougandais survient alors que le pouvoir en place cherche encore une fois à durcir sa loi sur l'homosexualité, après qu'un tribunal eut invalidé en août dernier l'adoption d'une telle loi pour une question de procédure.

Le gouvernement est revenu à la charge avant Noël avec un projet de loi qui punirait de sept ans d'emprisonnement la promotion de l'homosexualité, alors que ceux qui se livrent à des relations homosexuelles sont déjà passibles de la prison à perpétuité.

Ce mouvement antigai est attisé par certains journaux qui se sont donné pour mission de «démasquer» les homosexuels ougandais. Kasha Jacqueline Nabagesera en a d'ailleurs elle-même fait les frais, en 2010, quand un journal a publié la photo, le nom et l'adresse de 100 personnes qu'il disait homosexuelles sous le titre «Pendez-les».

Son ami David Kato, célèbre militant gai lui aussi identifié par le journal, a été battu à mort à coups de marteau quelques mois plus tard.

Les membres de la communauté LGBTI ougandaise sont victimes «d'agressions, d'arrestations illégales, d'extorsion, de chantage», énumère Kasha Jacqueline Nabagesera, qui ajoute que l'accès à l'école et au marché du travail est aussi plus difficile pour eux.

Elle espère que son magazine permettra de renverser la vapeur en contribuant à mettre fin à cette «homophobie cautionnée par l'État».