Le chef d'État kényan Uhuru Kenyatta a annoncé lundi qu'il se rendrait mercredi «à titre personnel» à une convocation de la Cour pénale internationale (CPI) qui l'a inculpé de crimes contre l'humanité et qu'il transmettrait ses fonctions à son vice-président durant son séjour à La Haye.

M. Kenyatta deviendra néanmoins mercredi le premier chef d'État à comparaître durant son mandat devant la CPI.

«Il ne sera pas dit que j'assisterai à la Conférence de mise en état en tant que président du Kenya», a-t-il assuré aux parlementaires kényans, «rien dans mes fonctions ou mes devoirs de président ne justifie ma présence au tribunal».

«Pour protéger la souveraineté de la République kényane, je (...) vais rapidement publier le décret nécessaire pour nommer le vice-président William Ruto en tant que président en exercice pendant que je participe» aux audiences aux Pays-Bas, a-t-il poursuivi, évoquant une décision «extraordinaire et sans précédent», prévue par la Constitution.

Une manoeuvre cependant perçue comme purement technique qui n'effacera pas l'image d'un chef d'État dans le box des accusés.

«Il essaie de s'en sortir avec une astuce de procédure», a estimé Aaron Matta, chercheur à l'Institut de La Haye pour la Justice mondiale. «Ce sera assez amusant si, une fois à la barre, il essaie de prétendre qu'il n'est pas actuellement le président».

M. Kenyatta, 52 ans, inculpé de crimes contre l'humanité par la CPI pour sa responsabilité présumée dans les violences post-électorales qui avaient ensanglanté le Kenya fin 2007 et début 2008, n'a comparu qu'une fois devant la CPI, avant son élection à la magistrature suprême en mars 2013.

Son procès a été reporté à plusieurs reprises notamment en raison de la rétractation de plusieurs témoins importants. Le procès de M. Ruto, lui aussi accusé de crimes contre l'humanité dans le cadre de ces violences, s'est ouvert le 10 septembre 2013.

La «Conférence de mise en état» doit notamment fixer la date du procès.

«Conscience claire»

«J'ai choisi de ne pas mettre la souveraineté de plus de 40 millions de Kényans sur le banc des accusés», a ajouté M. Kenyatta, poursuivi comme «coauteur indirect» de cinq chefs de crimes contre l'humanité : meurtre, déportation ou transfert forcé de population, viol, persécution, et autres actes inhumains.

«À tous ceux qui s'inquiètent que ma présence personnelle à la conférence de mise en état compromette la souveraineté de notre peuple ou crée un précédent pour la comparution de présidents devant la Cour, soyez assurés que ce n'est pas le cas», a-t-il ajouté.

La CPI n'a jamais délivré de mandat d'arrêt à l'encontre de MM. Kenyatta et Ruto et les deux hommes, qui ont toujours assuré qu'ils coopéreraient avec le tribunal, comparaissent libres.

«Ma conscience est claire, a toujours été claire et restera toujours claire», a-t-il assuré, soulignant avoir «coopéré sans cesse avec le procureur pour l'aider à établir la vérité».

Le procureur, Fatou Bensouda, a cependant dénoncé le «manque de coopération» de Nairobi. L'accusation veut en effet que Nairobi lui fournisse des documents qu'elle juge cruciaux, dont des extraits bancaires, des déclarations d'impôts, des relevés téléphoniques et des actes de transfert de propriété.

Ces documents pourraient, selon le procureur, prouver la culpabilité de l'accusé, mais il semble improbable que le gouvernement kényan donne à Fatou Bensouda de quoi incriminer son propre chef de l'État.

La CPI avait rejeté le 30 septembre une requête de la défense de M. Kenyatta visant à l'exempter de comparaître. «Le bon exercice de la justice dans cette affaire nécessite la présence physique de l'accusé à la Cour», avaient estimé les juges, soulignant «que cette audience de procédure constitue un stade crucial de la procédure».

La menace d'un procès s'est cependant considérablement éloignée pour Uhuru Kenyatta depuis que l'accusation a demandé un report sine die de l'ouverture dudit procès, faute de preuves suffisantes.

En réponse à cette requête, la défense a réclamé l'abandon des poursuites.

Les deux requêtes de l'accusation et de la défense, ainsi que la coopération de l'État kényan avec la Cour seront évoquées lors de deux audiences les 7 et 8 octobre. La CPI avait estimé qu'un représentant du Kenya suffirait pour la première audience.

En décembre 2007, la victoire annoncée du président sortant Mwai Kibaki à la présidentielle avait déclenché les protestations des partisans de son adversaire Raila Odinga, dégénérant rapidement en violences ethniques sanglantes, au cours desquelles un millier de personnes avaient été tuées et plus de 600 000 déplacées.

M. Kenyatta appartenait alors au camp de M. Kibaki et M. Ruto à celui de M. Odinga, mais les deux hommes, inculpés en 2010 ont ensuite formé un ticket commun victorieux à la présidentielle de mars 2013.