Elle devait animer un concours de cuisine pour enfants et venait de sentir les coups de pied de son bébé à naître quand Ruhila Adatia-Sood, une présentatrice radio vedette, a été abattue samedi par un commando islamiste dans le Westgate de Nairobi.

Le concours était organisé sur le stationnement aérien du luxueux centre commercial, dévasté par plusieurs jours de siège. Le bâtiment était, comme pour beaucoup d'autres kényans, un traditionnel lieu de rencontre de la communauté ismaélienne à laquelle appartenait la jeune femme.

Selon un bilan officiel provisoire, 61 civils ont perdu la vie au Westgate, ainsi que six membres des forces kényanes et cinq assaillants dans une attaque revendiquée par les insurgés islamistes somaliens shebab. Et 61 personnes restent toujours portées disparues.

On ignorait encore vendredi combien d'enfants ont péri dans cette attaque.

Samedi dernier, Ruhila Adatia-Sood, 31 ans, avait rassemblé 33 enfants qui s'affairaient dans une cuisine en plein air installée pour l'occasion sur le stationnement du Westgate. Chacun d'eux devait préparer une entrée, un plat principal et un dessert.

«Nous sommes super excités! Rejoignez-nous à partir de 11 h pour le deuxième tour du Sungold Sunrice SuperChief Junior! Rendez-vous là-bas», au Westgate, avait écrit sur l'internet une de ses collègues, Kamal Kaur, juste avant le rassemblement.

Le concours venait de débuter, avec une foule de parents venus en spectateurs, quand tout le monde a «commencé à entendre des bruits secs», a narré Kamal Kaur jeudi, en marge des funérailles de Ruhila Adatia-Sood.

«Nous avons entendu quelque chose qui ressemblait à des pétards», a-t-elle poursuivi, avant de raconter comment le groupe d'assaillants s'était penché du rebord du stationnement pour regarder les flots de clients du Westgate fuyant déjà, en bas, le centre commercial.

«Un homme a tiré sur mon fils, mais il a réussi à esquiver» les balles, a-t-elle ajouté. L'homme, selon elle, portait un jean, un tee-shirt noir, des lunettes de soleil et un keffieh autour de la tête.

«Il tenait une grosse arme automatique, et je pouvais voir un pistolet dépasser de sa poche».

Communauté solidaire

Le petit Paramshu Jain, huit ans, a eu moins de chance que le fils de Mme Kaur. Il est mort pendant le concours, ont confié ses parents.

Mitul Shah, le directeur marketing de l'entreprise pétrolière Bidco, est lui aussi décédé samedi, en «tentant de sauver les enfants» assistant au concours, selon sa famille.

Jeudi, les membres de la communauté ismaélienne de Nairobi se sont déplacés en masse pour rendre un dernier hommage à leurs proches tombés dans l'attaque - la plus meurtrière perpétrée à Nairobi depuis l'attentat de 1998 contre l'ambassade américaine.

Quelque 2500 personnes se sont ainsi rassemblées dans le hangar qui sert d'habitude de club sportif et social à la communauté, en mémoire de Ruhila Adatia-Sood et de Shairoz Dossa, une mère de famille de 44 ans.

Elles ont chanté des prières et enlevé leurs chaussures avant de défiler devant les cercueils. De nombreuses femmes portaient un foulard musulman blanc.

«C'est un jour très triste. Nous n'avons pas de mots», a glissé un jeune homme vêtu de noir, se décrivant simplement comme un ami de Ruhila Adatia-Sood, avant de détourner la tête pour dissimuler son émotion.

L'animatrice de radio s'est vidée de son sang après avoir été blessée par balle à la jambe.

«Nous sommes une petite communauté. Une tragédie comme celle-là nous rassemble», a expliqué Azym Dossa. Lui aussi vêtu d'un costume sombre, il a mis sa flotte de bus à disposition de la communauté jeudi pour lui permettre d'assister aux funérailles.

Il doit la vie à une habitude bien ancrée : celle d'aller boire un capucino au Westgate le dimanche, et non le samedi.

Depuis le carnage, Shelina Manji, une jeune publicitaire, «ne dort plus la nuit». «Elle et moi étions très bonnes amies», a-t-elle dit de Ruhila Adatia-Sood.

«Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai été sous le choc», a-t-elle encore raconté. «Juste avant (le drame), Ruhila avait envoyé un SMS à un ami pour dire qu'elle sentait son bébé donner des coups de pied» dans son ventre.