En septembre, ce sera au tour du Mali de célébrer ses 50 ans d'indépendance. Mais à Bamako comme à Dakar, au Sénégal, les sommes dépensées pour préparer la fête suscitent des critiques, voire de l'indignation chez les Maliens. «Si le peuple n'arrive pas à se soigner, à s'éduquer et à manger, le pays ne peut pas aller de l'avant», dénonce l'un d'eux, que notre collaboratrice a rencontré.

Dans le va-et-vient chaotique des motos et des taxis, au centre-ville de Bamako, l'imposant monument de l'Indépendance attire les regards des passants. Le slogan apposé sur son minaret, «Le cinquantenaire, c'est pour vous», laisse entendre que le Mali se prépare à la fête. Et pourtant...

L'air est chargé d'une épaisse poussière rougeâtre soulevée par la valse des camions qui déversent du gravier nuit et jour. Passerelles, échangeurs à voies multiples, troisième pont: le gouvernement fait tout pour que Bamako soit la plus belle des 17 capitales africaines qui accueillent cette année les réjouissances de 50 ans d'indépendance.

Mais pour le moment, la capitale malienne a plutôt des airs de champ de bataille. «Une chose est sûre, tout sera prêt pour les célébrations du jour de l'Indépendance», assure le commandant Magassouba, de la direction générale de la police nationale.

La poussière retombera le 22 septembre, date anniversaire du jour où, en 1960, Modibo Keita a officialisé sa présidence du Mali, pays indépendant fondé sur le territoire de l'ancien Soudan français.

Le cinquantenaire, pour qui?

Pour le gouvernement malien, ces célébrations permettent de souligner les progrès démocratiques du Mali. «Pour le pays, c'est l'occasion de se retrouver et d'aller de l'avant. Pour les Maliens de l'intérieur et de l'extérieur, c'est l'occasion de communier», explique Oumar Hammadoun Dicko, président du Comité du cinquantenaire.

Si, comme le revendique le slogan, le cinquantenaire est pour les Maliens, l'envie de célébrer ne se lit pas sur tous les visages. «On fête si on a progressé et qu'on peut manifester notre joie. Si le peuple n'arrive pas à se soigner, à s'instruire et à manger, le pays ne peut pas aller de l'avant», dénonce le coordonnateur de Radio Kayira, Mahamadou Diarra.

À Kayira, la radio des sans-voix, pas une journée ne passe sans qu'une personne lésée dans ses droits appelle à l'aide. «En mai dernier, à Sanamadougou, l'État a mis à la rue en une seule journée 150 familles de cultivateurs, soit environ 2000 personnes, en les expropriant de leurs propres terres. Des cas comme ça, nous en voyons tous les jours, ici», scande le juriste de Radio Kayira, Lassine Cissé.

À quel prix?

Pour Mahamadou Diarra, les sans-voix des 10 stations de Radio Kayira invalident l'argent investi dans les monuments et les festivités du cinquantenaire. «Est-ce que ce sont les campagnes d'information et les activités culturelles qui vont nourrir le pays?» ironise-t-il. Le gouvernement malien a déclaré avoir investi 7 milliards de francs CFA (14 millions de dollars) dans les célébrations, alors qu'un Malien vit en moyenne avec 1,80$ par jour.

À ces millions s'ajoute le coût d'un important projet, la Cité internationale de l'Indépendance, et d'un monument du cinquantenaire.

Selon le président de la Ligue des droits de l'homme (LDH), Amadou T. Diarra, le 22 septembre devrait être un moment pour se tourner vers l'avenir. «On aurait dû établir des discussions dans tous les quartiers, dans tous les villages et dans toutes les langues nationales, explique-t-il. Il faut que les jeunes se réapproprient leur histoire, qu'ils se trouvent d'autres repères dans la société que ceux du capitalisme et de la corruption.»

Afin d'interpeller la jeunesse, le comité du cinquantenaire a imaginé des activités et des concours dans les écoles. Une grève illimitée des professeurs déclenchée le 19 mars dernier a toutefois chamboulé le programme des festivités. «Quelle indépendance et quel avenir faut-il fêter? On risque de passer une année blanche à l'université et notre gouvernement dépense des milliards pour célébrer quelque chose dont on se fiche», martèle Abdullah, étudiant en économie.

Avec un État dénué d'entreprise publique et des systèmes de santé et d'éducation défaillants, par quel moyen la jeunesse entrevoit-elle sortir le Mali de son marasme? «Il faut trouver une façon de convaincre les futurs dirigeants du pays que ce n'est pas en se remplissant le ventre d'argent que l'on réglera les problèmes du Mali», tranche Abdullah.

Le Mali en chiffres

> Troisième taux de natalité au monde;

> Quatrième dans la liste des pays les moins développés;

> Quatrième taux de mortalité infantile;

> Taux d'analphabétisme: 70%;

> Espérance de vie: 52 ans.

Source: Programme des Nations unies pour le développement et CIA