Le Kenya a renoué avec la violence politique avec un attentat qui a fait cinq morts dimanche à Nairobi, deux ans et demi après les élections contestées de fin 2007 et à sept semaines d'un référendum crucial sur une nouvelle Constitution.

Plus de 80 blessés étaient toujours hospitalisés lundi au lendemain de deux explosions survenues lors d'un rassemblement contre le projet de constitution appelé par des églises protestantes évangélistes dans le parc Uhuru, en plein centre de Nairobi.

Les deux engins, de nature encore inconnue, ont explosé à un quart d'heure d'intervalle au moment des prières finales, créant des scènes de panique rappelant inévitablement les violences post-électorales de 2007-2008.

Le président Mwai Kibaki a convoqué lundi d'urgence à ses côtés les plus hauts responsables de la sécurité pour «aller au bout de cette affaire», a indiqué le vice-président Kalonzo Musyoka, en «appelant tous les Kényans au calme».

L'attentat jette un nouveau et grave doute sur la réputation du Kenya à constituer un pole de stabilité dans la très volatile région de l'Afrique de l'Est, après les violences de rue qui avaient fait plus de 1 500 morts suite à la réélection contestée de M. Kibaki en décembre 2007.

En l'absence de toute revendication, les explosions ont également accru la défiance entre partisans et adversaires du referendum constitutionnel convoqué le 4 août.

Le principal ténor du non, le ministre de l'Éducation supérieure William Ruto, a vu dans cet incident «l'indication que certaines personnes veulent imposer leur Constitution au Kenya».

Dans une tentative évidente de calmer le jeu, le premier ministre Raila Odinga, partisan déclaré du «oui», a assuré que l'attentat représentait «un incident isolé (...) qu'il ne fallait pas lier au référendum».

Mais dans son propre camp, un des coordinateurs de la campagne en faveur de la nouvelle Loi fondamentale, Peter Anyang Nyong'o, a suspecté «une manoeuvre pour susciter la sympathie du pays» en faveur des adversaires du texte.

La symbolique de l'attentat -survenu au moment des prières, dans un pays profondément religieux à majorité chrétienne et avec une importante minorité musulmane- peut également laisser penser que «certaines personnes veulent jouer avec les animosités religieuses», a estimé un membre de la Commission nationale kenyane des droits de l'Homme, Hassan Omar Hassan, interrogé par l'AFP.

L'attentat illustre en tout cas la tension croissante à l'approche d'un referendum constitutionnel qui pourrait remettre en cause bien des pouvoirs politiques et économiques établis au Kenya.

Les églises chrétiennes reprochent au texte d'autoriser l'avortement en cas de danger pour la vie de la mère, et de maintenir les traditionnels tribunaux islamiques kadhis dans les affaires de droit civil de moindre importance.

Mais, de plus, à deux ans des élections générales de fin 2012, le projet de Constitution renforcerait les pouvoirs de contrôle du Parlement face au président. Il permettrait de rouvrir le dossier hypersensible du partage des terres après l'indépendance de 1963, et il entraînerait une redistribution générale des cartes dans l'administration régionale, policière et judiciaire, dans un pays les plus corrompus au monde.

L'attentat de dimanche «ressemble fort à un acte de diversion» contre l'adoption de ce texte, a estimé M. Hassan. «Il y a des gens qui souhaitent faire dérailler la campagne, de la même manière que des gens ont joué avec les animosités ethniques en 2007/2008 (...)».

«Mais nous avons atteint un point de non-retour (en faveur de la Constitution) car cela fait trop longtemps que les Kenyans l'attendent», a-t-il assuré.