Ils vivent «dans la peur», se disent «menacés de mort» par les insurgés islamistes. Au risque de leur vie, une trentaine de traducteurs somaliens travaillent à Mogadiscio pour la force de paix de l'Union africaine en Somalie (Amisom).

Ils vivent «dans la peur», se disent «menacés de mort» par les insurgés islamistes. Au risque de leur vie, une trentaine de traducteurs somaliens travaillent à Mogadiscio pour la force de paix de l'Union africaine en Somalie (Amisom).

Fatouma Abdi, 28 ans, est l'une de ces interprètes. «Je veux aider mon peuple», clame la jeune femme, qui feint d'un geste élégant de dissimuler son visage rieur et des yeux noirs en amande derrière un léger voile fleuri.

Fatouma travaille depuis deux ans avec les opérations civilo-militaires de l'Amisom. Dans le cadre des consultations médicales gratuites organisées par le contingent ougandais, elle fait le lien entre les personnels soignants et les patients somaliens.

«Mon mari est parti en 2007 pour l'Europe, via la Libye», raconte cette mère d'un enfant de 5 ans. «Il était soldat du TFG (gouvernement de transition)». Sans salaire, menacé par les shebab dans la maison familiale de Bakara, bastion islamiste de la capitale, «il n'avait pas d'autre choix».

«On m'a dit qu'il est aujourd'hui en Italie, mais je n'ai plus de contact avec lui».

«Un jour, j'ai fui notre maison», poursuit Fatouma, «sans prévenir personne, en laissant tout derrière moi. Et je suis venue m'installer à Médina», quartier relativement calme qui jouxte la base de l'Amisom près de l'aéroport.

«Malade, je suis allée aux consultations gratuites de l'Amisom. Ils m'ont soignée, m'ont donné des médicaments. Et puis surtout ils ont vu que je parle anglais. Alors ils m'ont proposé de travailler pour eux».

Après une période probatoire de deux ans comme «volontaire», la jeune femme va devenir prochainement «interprète», avec un salaire de 300 dollars à la clé.

«C'est juste suffisant pour vivre», estime-t-elle dans un sourire embarrassé, et toutefois largement supérieur au revenu du Somalien moyen.

Mais son travail avec l'Amisom, considérée comme une «force d'occupants» et «d'infidèles» par les insurgés islamistes, a un prix.

«Les shebab m'appellent sans cesse sur mon téléphone portable pour me menacer, me dire qu'ils vont me tuer. Ils me connaissent, j'ai vu défiler des centaines de malades».

«Parfois ils viennent ici eux-mêmes, je le vois bien, ils font semblant d'être malades, on leur donne des médicaments, ils s'en vont et c'est tout», explique Fatouma, dans un rictus de dégoût.

Deux interprètes de la force de paix qui s'étaient aventurés en centre-ville ont été tués l'an dernier. Les shebab les ont kidnappés, et ils ont été exécutés peu après, selon Fatouma.

Avec une centaine d'autres civils somaliens --employés de la force de paix et leurs proches--, elle vit désormais dans le périmètre protégé de la base.

Ces familles ont squatté un pâté de maisons en ruine, près d'une entrée annexe réservée aux piétons, délimitée par quelques sacs de sables et fils barbelés au milieu des épineux.

«En théorie, ces gens ne pouvaient pas rester, nous avons finalement étendu le périmètre de la base pour leur assurer une relative sécurité», avec des patrouilles de policiers somaliens et militaires de l'Amisom, explique le capitaine-médecin Ronald Mukuye.

L'endroit a été lundi la cible d'un tir de mortier des insurgés, alors que des dizaines de malades, en majorité des femmes et des enfants, patientaient pour venir se faire soigner sur la base. Un soldat ougandais et quatre civils somaliens ont été tués.

«Je ne bouge pas de là, par précaution, même si c'est comme rester en prison», souligne Fatouma: «mon fils reste en ville avec ma mère et vient me voir une fois par semaine.

«Avec tous mes collègues nous avons le même problème», enchaîne-t-elle: «que va-t-il se passer quand l'Amisom partira? Je pense toujours à ça».