Si vous étiez républicain et conservateur, vous seriez aujourd'hui comblé par la nomination du juge Neil Gorsuch pour occuper le siège vacant à la Cour suprême des États-Unis. Voilà un juriste dont la compétence et le conservatisme ne font aucun doute : diplômé des plus grandes universités - Columbia, Harvard, Oxford -, le natif du Colorado a servi d'auxiliaire juridique auprès de deux juges de la Cour suprême - Byron White et Anthony Kennedy -, et, pendant dix ans, de juge à la cour d'appel fédérale de Denver, où il a retenu l'attention avec des décisions dont le style et la philosophie «originaliste» ont poussé certains à le comparer à Antonin Scalia, le juge décédé en février dernier dont il pourrait hériter du siège après avoir joui de son amitié.

Mais attention : le conservatisme de Gorsuch ne rime pas avec extrémisme, selon plusieurs analystes. En fait, certains d'entre eux voient dans sa nomination un message subtil au juge Kennedy. À 80 ans, Kennedy serait prêt à prendre sa retraite s'il avait l'assurance que la Cour suprême ne deviendrait pas un repère de juges ultra conservateurs.

Nommé par Ronald Reagan, Kennedy s'est imposé au fil des ans comme le juge «pivot» de la Cour suprême, celui qui a fait la différence dans plusieurs causes cruciales. Tout conservateur soit-il, il a parfois épousé les opinions de ses quatre collègues progressistes. Dans un sens, la nomination de Gorsuch est de nature à calmer ses craintes sur l'avenir de la plus haute instance américaine.

Bref, sur le plan politique et juridique, Donald Trump a fait un choix excellent voire étonnant compte tenu de son penchant pour les gens inexpérimentés ou incompétents. Certes, Gorsuch est l'incarnation de l'establishment républicain et de l'élitisme universitaire, mais personne n'est parfait.

Les démocrates et leurs alliés ne manqueront évidemment pas de souligner ses imperfections au cours des prochaines semaines. Certains sénateurs de ce parti ont déjà signalé leur intention de bloquer la nomination du juge Gorsuch. Le sénateur de l'Oregon Jeff Merkley fait partie de ce groupe.

«C'est un siège volé», a-t-il dit avant même l'annonce de Trump. «C'est la première fois qu'une majorité au Sénat vole un siège. Nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour arrêter ça.»

Le vol dont parle le sénateur Merkley fait référence au refus de la majorité républicaine du Sénat de tenir une audition ou un vote sur la nomination du juge Merrick Garland, choisi par Barack Obama peu après le décès du juge Scalia en février 2016.

D'autres sénateurs, dont Bernie Sanders, ont déjà annoncé les lignes d'attaque démocrates contre le juge Gorsuch. Ce dernier «doit expliquer son hostilité à l'endroit des droits des femmes, son appui aux entreprises au détriment des travailleurs et son opposition à la réforme du financement électoral», a gazouillé le sénateur du Vermont hier soir.

La promesse du sénateur Merkley réjouira plusieurs membres de la base démocrate, qui sont mobilisés comme jamais contre les politiques de Donald Trump. Mais elle comporte des risques.

Les républicains contrôlent aujourd'hui 52 des 100 sièges du Sénat. Ils ont cependant besoin de 60 voix pour franchir les dernières étapes menant à la confirmation d'un juge fédéral. Les démocrates disposent donc d'un nombre suffisant de voix pour bloquer une telle confirmation par le biais d'une manoeuvre appelée filibuster dans le jargon parlementaire américain.

L'ennui pour eux, c'est que les républicains ont le pouvoir de changer les règles du jeu au milieu de la partie en éliminant le filibuster. La disparition de cette tradition parlementaire serait énormément controversée. Mais elle pourrait ouvrir la voie à la nomination de juges encore plus conservateurs que Gorsuch.

En attendant, les républicains se battront pour un juge à la fois jeune - il a 49 ans - et photogénique dont les qualifications ne font aucun doute. L'avenir est évidemment riche en surprises mais, pour le moment et du point de vue républicain, le choix de Trump est excellent à tous les niveaux.