En 1957, en pleine guerre froide, le colonel Rudolf Abel a été arrêté à New York et accusé d'être un espion russe. James B. Donovan, avocat spécialisé dans... les assurances, a été affecté à sa défense. Envers et contre ses collègues au travail, au risque de se mettre lui-même et sa famille en danger, il a accepté la cause. A même été jusqu'en Cour suprême pour éviter la peine de mort à son client.

Bien lui en prit: en février 1962, Abel, qui avait finalement écopé d'une peine de prison à vie, a servi de monnaie d'échange.

Deux ans plus tôt, l'avion U-2 de Francis Gary Powers avait été descendu au-dessus de la Russie. Le jeune pilote, qui était en mission d'espionnage, avait alors été capturé par les Russes. Les États-Unis voulaient le récupérer.

Donovan, lui, est parvenu à ajouter Frederic Pryor, étudiant coincé en Allemagne de l'Est depuis la construction du mur de Berlin, à la tractation qui s'est déroulée sur le pont de Glienicke - qui, avant la réunification de l'Allemagne, faisait la jonction entre le secteur américain de Berlin-Ouest et le secteur russe de la RDA.

Un homme ordinaire faisant une chose extraordinaire. Un monsieur Tout-le-Monde devenant un héros. Il y avait là de quoi intéresser Steven Spielberg et le pousser à refaire équipe avec Tom Hanks... lui aussi en territoire connu dans la peau d'un tel personnage. Après Saving Private Ryan, Catch Me If You Can, The Terminal et les séries Band of Brothers et The Pacific qu'ils ont produites, les voici dans le drame juridique et d'espionnage Bridge of Spies.

«Il y a deux ans, je ne savais rien de James Donovan et de Rudolf Abel, racontait Steven Spielberg lors d'une conférence de presse tenue à New York. Je me souvenais bien sûr de l'histoire de Francis Gary Powers, dont tout le pays avait parlé, mais j'ignorais comment il avait été délivré.»

Homme de principes

C'est alors qu'il a reçu le scénario de Matt Charman. Il a été conquis. «C'est une page d'histoire qui a résonné très fort en moi, celle d'un homme qui se bat pour ses principes, qui défie tout le monde - même si ça signifie se faire détester de tous et mettre sa famille en danger. Parce qu'il croit que la cause qu'il a à défendre est juste. Pour moi, c'est là une histoire qu'il faut raconter.»

Pour interpréter cet homme, Tom Hanks. Qui a craint, il l'admet, que le Donovan ainsi décrit ne soit «trop». Trop droit. Trop idéaliste. Jusqu'à ce qu'il fasse des recherches. Tombe sur les écrits - très exhaustifs - de l'avocat. Et même, sur des interviews filmées après qu'il a défendu la cause d'Abel.

«J'avais un peu peur qu'on tombe dans l'opératique et le grandiloquent. Mais Donovan a vraiment dit à la Cour suprême des choses comme: «Vous ne pouvez accuser cet homme de trahison, il est patriote à sa cause. En sol américain, seul un Américain peut être accusé de trahison à la nation. Cet homme fait simplement son travail, exactement comme nous avons des hommes, là-bas, qui font le leur. Si vous le torturez, si vous le condamnez, vous devenez comme le KGB et la Stasi.»»

À partir de là, l'acteur n'a eu aucun problème à endosser le costume et le propos. D'autant qu'il était solidement entouré.

Derrière la caméra, Steven Spielberg. Devant, à ses côtés, le formidable Mark Rylance en Rudolf Abel; Amy Ryan en Mary, la femme de James Donovan; et Alan Alda en Thomas Watters, partenaire d'expérience au cabinet qui emploie l'avocat. «Lui, il veut simplement éviter que la firme ne se retrouve dans la tourmente, indique l'acteur entré dans la légende avec M*A*S*H. Il n'a aucun problème à l'idée que l'ennemi n'ait pas droit à un procès juste. Et ça me rappelle des choses que l'on traverse aujourd'hui.»

La guerre «fraîche»

Steven Spielberg abonde. «Bien sûr, je ne qualifierais pas de guerre froide ce qui se passe actuellement entre Poutine et l'administration Obama, mais disons qu'il y a... du givre dans l'air. L'incursion en Crimée, les événements qui se déroulent en Ukraine et en Syrie, on dirait que l'histoire se répète.»

Et d'ajouter combien le concept d'espionnage, si présent dans les années 50 et 60 «a atteint un apogée technologique de nos jours. Avec le piratage, la saison est ouverte (it's open season) pour ceux qui veulent obtenir et vendre des renseignements», fait le réalisateur qui, après avoir trouvé «ses» acteurs, a décidé de donner un dernier tour de manivelle au scénario en le confiant à... Joel et Ethan Coen.

En fait, les frangins avaient entendu parler de ce projet, pensaient que seul le synopsis en était écrit et, comme le genre «espionnage» leur plaît, ils ont contacté Steven Spielberg pour exprimer leur intérêt. «Nous avions déjà le script de Matt Charman, et il était excellent. Mais je voulais aller plus loin dans les personnages et la recherche. C'est là qu'ils sont montés à bord», indique le réalisateur.

«L'histoire est restée celle que Matt a écrite, poursuit Mark Rylance, mais c'est comme si les Coen avaient pris ce «corps», avaient renforcé sa colonne vertébrale et l'avaient massé pour que le sang, la vie, afflue jusque dans ses extrémités.»

Et quiconque connaît - et aime - les Coen reconnaîtra ici leur patte, dans un univers très signé Spielberg. Le résultat, dirait Tom Hanks, «est drôlement cool».

Gregory Peck

Steven Spielberg venait d'en apprendre toute une lorsqu'il est arrivé à la conférence de presse. Deux heures plus tôt, il rencontrait trois des quatre enfants de James Donovan. «Ils m'ont dit qu'en 1965, Gregory Peck avait rencontré leur famille pour un projet de film. Il avait l'intention de jouer James Donovan et Alec Guinness devait interpréter Rudolf Abel. Stirling Silliphant (The Poseidon Adventure, The Towering Inferno) avait même été pressenti pour écrire le scénario. Et puis, MGM a dit non. Le débarquement de la baie des Cochons avait eu lieu peu avant et la tension était encore très grande, trop probablement pour aborder dans un film les ramifications politiques de cette histoire.»

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Les frais de voyage ont été payés par Walt Disney Studios Pictures.