Ils ont grandi avec Vrak, ont suivi toutes les séries cultes qui ont fait sa renommée, d’Une grenade avec ça ? à Mixmania. Moins d’un mois avant son retrait des ondes, d’ex-fidèles se remémorent l’âge d’or du méchant canal.
Après toutes ces années, Andréanne Leblanc-Demers se surprend à n’avoir rien oublié. L’horaire des émissions, les répliques de ses comédiens préférés – même les paroles de la chanson où Jon pleure l’ablation de son troisième mamelon dans un épisode d’Il était une fois dans le trouble. « Vrak, c’est le résumé de mon adolescence. J’écoutais toutes les émissions, même les reprises la fin de semaine ! », s’exclame la jeune femme de 25 ans.
Cet automne, c’est un pan de sa jeunesse qui disparaîtra. Un pan de toute une génération également. Vrak sera retirée des ondes le 1er octobre, comme l’a récemment annoncé Bell Média. Ces dernières années, la chaîne spécialisée n’était plus que l’ombre de ce qu’elle a déjà été : un lieu de rendez-vous sans pareil pour les jeunes Québécois.
N’empêche, l’annonce de son retrait des ondes a provoqué une onde de choc. Pour toute une génération d’ados qui ont grandi avec le « poste 16 » allumé à longueur de journée, un symbole meurt. En dernier hommage à la chaîne, d’ex-fidèles ont fait partager leurs meilleurs souvenirs de Vrak à La Presse.
L’âge d’or de Vrak
Il fallait grandir au début du millénaire pour vivre le règne de Vrak. C’était les belles années de la chaîne, l’époque où tous les jeunes partageaient la même routine après l’école. « Dès que j’arrivais à la maison, j’écoutais Vrak ! » raconte Sabrina Langlois, 29 ans.
Son émission préférée ? L’intervenante psychosociale peine à choisir. Trop difficile. Elle aimait beaucoup Phénomène Raven. Et Il était une fois dans le trouble. Et Dans une galaxie près de chez vous.
Adolescente, elle a même eu la chance de participer à l’émission Ça plane pour moi, dans laquelle l’animateur, Alexandre Morais, organisait un party surprise pour un jeune. « J’adorais les émissions québécoises qui donnaient aux jeunes l’opportunité de vivre des trucs », souligne Sabrina Langlois.
En 2001, Vrak.TV remplaçait Canal Famille, dont les cotes d’écoute baissaient depuis l’arrivée de Télétoon. Avec une nouvelle image et une nouvelle programmation, la chaîne ciblait les préados et les ados.
Pendant plus d’une décennie, la chaîne spécialisée a enchaîné les succès, Mixmania, Frank vs Girard, Méchant changement, Vrak la vie, sans oublier la sainte Trinité, Il était une fois dans le trouble, Une grenade avec ça ? et Dans une galaxie près de chez vous, dont les reprises ont été diffusées jusqu’en 2006.
Il y a bien eu quelques ratés en cours de route (Anormal, ça vous dit quelque chose ?), mais rien pour ternir son impressionnant catalogue. Même que c’est ce qui faisait la marque de Vrak, cette volonté de prendre des risques, d’explorer des concepts éclatés, quitte à parfois manquer son coup. « C’était un succès après l’autre. Une fois de temps en temps, une émission ne levait pas, mais il y avait cette possibilité d’essayer », estime Simon Portelance, humoriste et coauteur du livre Génération Canal Famille.
Enfant, il a vécu la transition du Canal Famille à Vrak.TV.
On était sceptique au début, mais dès la première demi-heure, on capotait tous.
Simon Portelance, humoriste et auteur
Au Québec, Vrak était unique en son genre. À la fois un laboratoire pour les artistes en début de carrière et un espace de rencontre pour les jeunes. « Rien ne ressemble à ça aujourd’hui pour les ados », estime Sabrina Langlois.
La folie Karv
On ne peut non plus parler de Vrak sans parler de Karv l’anti-gala, arrivé dans le paysage médiatique en 2004. Il fallait voir les milliers d’adolescentes s’agglutiner devant le Théâtre Denise-Pelletier, à Montréal, dans l’espoir d’apercevoir Joey Scarpellino, Yan England ou Mariloup Wolfe sur le tapis rouge.
Chaque été, l’évènement culte de la chaîne donnait la chance aux jeunes de voter pour les acteurs qui formeraient le plus beau couple ou la personnalité québécoise qu’ils aimeraient avoir comme mère ou comme père.
Andréanne Leblanc-Demers a assisté deux fois à l’anti-gala, dont sa dernière présentation en 2015.
C’était mon rêve d’y aller. Je me rappelle que je n’avais plus de tympan parce que les filles criaient sur un moyen temps !
Andréanne Leblanc-Demers
C’est ce qui la peine le plus dans le débranchement du méchant canal. La proximité perdue entre les ados et leurs idoles. Plus jeune, elle communiquait régulièrement sur les réseaux sociaux avec son modèle, l’animateur Pascal Morrissette, qui la motivait à poursuivre l’école dans les périodes difficiles.
Désormais, les jeunes s’attachent aux acteurs de séries à gros budget produites par Neflix ou Prime. « Tu ne peux pas avoir la même proximité avec des artistes qui ont 100 millions d’abonnés sur Instagram », se désole-t-elle.
Un long déclin
Aujourd’hui, les belles années de Vrak semblent déjà loin. Ces dernières années, la chaîne n’offrait presque plus de contenu original, sa programmation comptant principalement des séries américaines. Depuis 2016, Vrak tentait de se repositionner dans le paysage télévisuel en présentant un contenu plus mûr, destiné aux jeunes adultes, ce qui n’a pas empêché la chaîne de mourir à petit feu. « Ça fait cinq ans que Vrak ne fait plus rien pour les jeunes. C’est peut-être une bonne chose qu’ils le débranchent », estime Simon Portelance.
À tout le moins, son retrait des ondes aura permis de réaliser ce qui a été perdu depuis longtemps, « des productions qui accrochent les jeunes à la culture québécoise », dit-il.
Simon Portelance ne se fait pas d’illusion. L’époque où les jeunes regardaient tous le même épisode d’Il était une fois dans le trouble en même temps ne reviendra pas. Mais il n’est pas trop tard pour ramener les jeunes devant les émissions québécoises, croit-il. Il suffit d’être inventif. Et d’aller chercher les jeunes là où ils se trouvent. En ligne. « La fin de Vrak est le premier domino qui tombe. D’autres vont tomber. Il faut faire quelque chose pour que nos émissions deviennent plus accessibles aux jeunes. »
Vrak en quelques dates
2001
En ondes depuis 1988, la chaîne Canal Famille change d’identité. Le 2 janvier, à 19 h, elle devient officiellement Vrak.TV dans l’objectif de relancer les cotes d’écoute à la baisse depuis l’arrivée de Télétoon.
2002
C’est la fièvre Mixmania ! Deux groupes composés de quatre filles et quatre garçons s’affrontent dans le cadre d’une compétition musicale. La finale de l’émission, qui connaît un succès inattendu, attire 700 000 téléspectateurs.
La même année, le premier épisode de la série culte Une grenade avec ça ? est diffusé sur les ondes de Vrak. Les employés du Captain Creighton resteront à l’écran pendant près de dix ans.
2004
La diffusion du premier Karv l’anti-gala marque le début d’une longue tradition sur les ondes de Vrak. L’humoriste Louis-José Houde ressort gagnant de cette première édition animée par Patrick Groulx.
Il était une fois dans le trouble fait son entrée dans la programmation automnale de Vrak. Au total, la série comptera plus de 250 épisodes.
2013
Bell acquiert Astral Media, qui exploite Vrak.TV, pour 3,2 milliards de dollars.
2014
La chaîne est rebaptisée Vrak. C’est aussi le début de Vrak2, dont le contenu vise un public plus mûr et est diffusé en soirée.
2015
L’une des dernières productions québécoises d’envergure de la chaîne s’ajoute à la programmation : Le chalet. Comme Jérémie, la série connaît un franc succès et sera diffusée jusqu’en 2019.
1er octobre 2023
Fin officielle de Vrak, qui sera retirée des ondes.