À l'aube de ses 50 ans, le cofondateur de Zone 3 entame une nouvelle aventure. Portrait en quatre temps du nouveau vice-président de Radio-Canada.

Michel Bissonnette, le nouveau vice-président des services français de Radio-Canada, aura 50 ans en mars. Et cet anniversaire, emblématique pour la plupart des gens, n'est pas étranger au fait qu'il se retrouve aujourd'hui au 12e étage de la tour de Radio-Canada, dans le bureau du vice-président.

«Ça fait 16 ans que je faisais la même job à Zone 3 [qu'il a cofondée avec trois associés et dont il était le président]. Je me suis demandé si je continuais pour une dizaine d'années encore dans un domaine dont je maîtrisais la plupart des éléments ou si j'entreprenais ce nouveau défi où j'étais assuré d'avoir mal au ventre. J'ai choisi d'avoir mal au ventre», me lance-t-il, le sourire moqueur et l'oeil pétillant, au milieu d'une salle de réunion adjacente à son vaste bureau avec vue imprenable sur le fleuve.

En juin dernier, après l'annonce du départ à la retraite de l'ex-vice-président Louis Lalande, un chasseur de têtes a pris contact avec Bissonnette. André Larin, son ancien associé chez Zone 3, affirme qu'il a été surpris par l'appel: agréablement surpris.

«Michel était très intéressé par le poste, mais il ne croyait pas l'obtenir. J'étais triste qu'il parte, mais je n'ai pas essayé de le retenir, voyant à quel point il avait envie de ce nouveau défi.»

La candidature du futur VP a été soumise à un comité composé de l'ex-PDG de Télé-Québec Michèle Fortin, de l'homme d'affaires Alexandre Taillefer, du président Hubert T. Lacroix et de trois autres membres de la haute direction de Radio-Canada.

Selon une source, la candidature de Bissonnette était de loin supérieure aux autres, malgré ses couleurs politiques libérales très prononcées.

Bissonnette est en effet entré au Parti libéral du Québec à 20 ans comme employé avant de devenir, deux ans plus tard, président de la Commission-Jeunesse. Puis, de 2007 à 2012, il a travaillé au bureau de Jean Charest comme conseiller spécial. Jusqu'à l'automne dernier, il avait d'ailleurs toujours sa carte de membre du PLQ, qu'il a remise depuis. Mais en fin de compte, ce ne sont pas ses qualités d'organisateur politique et de faiseur d'image qui ont convaincu le comité de sélection; ce sont plutôt ses 25 ans dans le monde des médias et sa connaissance fine des rouages de la télévision et des nouveaux médias. C'est aussi son leadership et son côté rassembleur.

Tous les gens contactés pour cet article et qui ont connu Michel Bissonnette en politique, en pub ou en production télé avaient le mot «rassembleur» à la bouche.

Rassembleur, dynamique, motivant, fin stratège, cherchant les consensus mais jamais au point de sacrifier les nécessaires changements qui s'imposent parfois, humain, collégial, respectueux des autres: les compliments abondent pour décrire un homme qui n'a pas beaucoup d'ennemis. Et si Michel Bissonnette a réussi cet exploit à travers les méandres et les marécages de la politique et de la production privée, autant dire qu'il est bien équipé pour faire face aux nouveaux défis qui l'attendent.

L'ivresse de la politique

Michel Bissonnette est né à Boucherville l'année d'Expo 67, l'aîné de deux enfants de Gisèle Choquet et de Jean-Claude Bissonnette, représentant commercial d'une entreprise de peinture. La famille n'était pas politisée; pourtant, en 1985, lorsque Robert Bourassa se présente dans l'ancienne circonscription de Bertrand sur la Rive-Sud, le jeune Bissonnette fait campagne pour lui. 

Bourassa sera battu, mais la victoire du Parti libéral et l'effervescence de l'époque persuadent Bissonnette de reporter ses études universitaires (qu'il ne fera jamais) pour travailler à temps plein au parti.

«L'époque était enivrante. Je venais de terminer mes études en sciences humaines au cégep Édouard-Montpetit. On était une gang de jeunes qui travaillaient six jours sur sept et qui vivaient un gros trip. Mais j'y ai aussi fait un apprentissage important qui me sert encore: j'ai appris à gérer mille bénévoles, ce qui est plus difficile que de gérer mille employés de Radio-Canada notamment, parce que les bénévoles ne sont pas payés.»

Deux ans plus tard, Bissonnette est élu président de la Commission-Jeunesse. L'accord du lac Meech vient de mourir au feuilleton. L'aile jeunesse du parti, qu'il dirige, est non seulement en colère, elle propose ni plus ni moins d'inclure dans le programme du parti la souveraineté-association, une expression à laquelle il se refuse aujourd'hui, lui préférant «la pleine autonomie politique du Québec».

On peut le voir faire cette proposition audacieuse au micro dans le documentaire Le mouton noir de Jacques Godbout puis affirmer à la caméra que les relations avec le Canada sont rompues pour de bon. John Parisella, qui à l'époque était chef de cabinet de Bourassa et un fervent partisan du fédéralisme, n'était pas content. «Mais je n'ai pas appelé Michel pour l'engueuler, raconte-t-il. J'avais beaucoup de respect pour lui. Même à 20 ans, c'était quelqu'un de convivial, pas agressif et zéro arrogant.»

Jacques Godbout se souvient d'un jeune sensible, avec une intelligence vive des situations.

«Le Parti libéral a été une vraie famille pour lui. Il leur doit beaucoup et eux aussi lui doivent beaucoup.»

En 1991, Mario Dumont succède à Bissonnette qui vient de décrocher un emploi à l'agence de publicité BCP. Au moment de l'accord de Charlottetown, Bissonnette rentre dans le rang, alors que Mario Dumont se prononce pour le Non. Une brouille entre les deux s'ensuivra, brouille qui perdurera lorsque Dumont quittera le Parti libéral pour fonder l'ADQ. Les deux anciens complices se retrouveront des années plus tard lorsque Dumont quittera la politique et que Bissonnette produira sa première émission à TQS.

Dernièrement, pour célèbrer les 25 ans du «Mouton noir», Bissonnette a convié au resto ses anciens acolytes Mario Dumont, Joseph Facal, Denis Coderre, Jean-François Simard et, bien entendu, Jacques Godbout.

Ces retrouvailles au chic restaurant Da Emma dans le Vieux-Montréal, c'était l'idée de Bissonnette, l'éternel rassembleur. C'est lui aussi qui, bon prince, au nom des amitiés de sa folle jeunesse, a payé l'addition à la fin de la soirée.

photo archives La Presse

Mario Dumont et Michel Bissonnette, alors de jeunes libéraux, au début des années 1990.

Le producteur audacieux

Michel Bissonnette et trois associés ont fondé la maison de production Zone 3 en 2000. À quatre, ils disposaient de la moitié des actions; la Caisse de dépôt et Télé-Système de Charles Sirois se partageaient l'autre moitié. La toute première production portant la signature de Zone 3 ne fut pas un jeu-questionnaire, une téléréalité ni L'épicerie en folie. Que non!

Ce fut une série d'une audace peu commune: Bunker, le cirque, une satire du monde politique que j'avais qualifiée à l'époque d'immense et folle métaphore et d'oeuvre hybride et déjantée. 

Malheureusement, Bunker, le cirque a fait scandale, suscitant un célèbre haut-le-coeur chez Pauline Marois et des critiques de la classe politique, sans connaître le succès qu'elle méritait amplement.

À l'époque, Michel Bissonnette était très fier de cette oeuvre inattendue, créée par Luc Dionne et réalisée par Pierre Houle. «Ils ont cassé le moule et réinventé les codes de la série lourde», jubilait celui qui, à la Commission-Jeunesse des libéraux, avait cassé le moule à sa manière.

Autant dire que l'audace dont Michel Bissonnette avait fait preuve en politique ne l'a pas quitté lorsqu'il s'est retrouvé dans le monde de la pub et de la production télé. Tout le contraire. En 1993, par exemple, employé de l'agence de publicité BCP, dirigée par Yves Gougoux - un de ses mentors -, il a participé à la campagne électorale de Jean Chrétien et à la conception d'une pub détonante et habilement récupératrice, qui affichait une photo de Chrétien avec la mention «Drôle de gueule, mais quel discours!» ou encore «Des rides, mais quelle expérience!».

Cette campagne, très nouvelle pour l'époque, a frappé l'imagination et a certainement joué un rôle dans la victoire éclatante de Chrétien contre Kim Campbell. La même année, Bissonnette est passé à TVA où il a dirigé les communications puis la création. Il a été embauché par son deuxième mentor, Guy Crevier, l'actuel éditeur de La Presse, qu'il a suivi à Vidéotron en 1997, avant son rachat par Québecor.

Il raconte qu'étant responsable du marketing chez Vidéotron, il se promenait parmi les employés en parlant de la nécessité de doter les clients d'adresses internet. Personne ne comprenait de quoi il parlait, les adresses internet n'étant pas encore monnaie courante.

«La grande qualité de Michel, c'est qu'il pense en dehors de la boîte. Il voit toujours les choses sous un angle nouveau», raconte Vincent Leduc, ex-associé de Zone 3.

Bunker, le cirque n'a pas été la seule preuve de son audace comme producteur télé. C'est sous sa gouverne que sont nés l'irrévérencieuse émission Infoman, Les pieds dans les plats avec Daniel Pinard, Le grand blond avec un show sournois, le talk-show de Marc Labrèche à TVA qui a été remplacé par Merci, bonsoir avec François Morency, également produit par Zone 3. Et que dire de Minuit, le soir, série emblématique qui, à première vue, frôlait l'insignifiance - le quotidien de trois portiers de nuit - mais qui, à travers la radiographie de la détresse et de la misère sexuelle masculines, a connu un succès flamboyant au petit écran.

Dans Le Devoir, l'acteur Claude Legault racontait qu'il n'avait eu qu'une seule chicane avec Bissonnette - chicane qui se serait vite réglée, Bissonnette n'aimant pas laisser pourrir les conflits.

Or, selon une source, si Michel Bissonnette a un défaut parmi sa montagne de qualités, c'est qu'il est soupe au lait et qu'il peut à l'occasion grimper dans les rideaux - trait de caractère somme toute normal de la part d'un passionné qui prend son métier à coeur.

Dernier trait qui est à la fois une qualité et un défaut: l'homme ne laisse rien au hasard. Lorsqu'il s'engage dans un projet, il est très hands on, notent ses amis et anciens associés. Les deux mains sur le volant, dirait Jean Charest dont il fut le conseiller spécial. Qui sait si cette expression ne lui a pas été soufflée par Michel Bissonnette lui-même?

Photo archives La Presse

Les quatre cofondateurs de la maison de production Zone 3 en 2004: André Larin, Michel Bissonnette, Vincent Leduc et Paul Dupont-Hébert.

Des défis et une vision

Personne n'a contesté la nomination de Michel Bissonnette au poste de vice-président des services français de Radio-Canada. Même que la plupart des employés de la tour se sont réjouis de l'arrivée de ce professionnel des communications et producteur émérite.

Une ombre au tableau est cependant apparue: Bissonnette a été nommé par un président dont le mandat se termine. Selon toute vraisemblance et en vertu du principe d'alternance, Hubert T. Lacroix cédera son poste à un anglophone en novembre prochain. Or, ce dernier (ou cette dernière) voudra constituer sa propre équipe, dont le nouveau VP pourrait être exclu.

Michel Bissonnette est conscient de cette réalité, mais il ne s'en inquiète pas. «Je fais confiance à la vie, dit-il. Et puis, je n'ai pas souvenir de gens avec qui je n'ai pas été capable de travailler.»

«Pour l'instant, il y a énormément de boulot à faire. J'ai bien l'intention de m'en acquitter, d'autant plus que ce poste réunit tout ce que j'aime: la création, la chose publique, l'implication avec la société.»

À titre de producteur, Bissonnette a vécu de plein fouet les déboires de Radio-Canada, les coupes, la rationalisation, les creux de vague. «Aujourd'hui, la situation est tellement plus positive. Aujourd'hui, la job le fun, elle est ici», s'enthousiasme-t-il.

Va pour le fun, mais vers quoi le réseau français va-t-il tendre sous sa gouverne? Vers une version québécoise de la BBC ? Vers une télé plus intello ou plus populaire? Bissonnette s'empresse de souligner la qualité de la BBC, une télé publique qu'il respecte et admire.

Au point d'imiter sa politique de divulgation des salaires? La BBC vient en effet de publier les salaires à six chiffres de ses cadres les mieux payés.

Bissonnette n'était pas au courant de cette décision de la radio-télévision publique britannique et, à voir sa grimace et sa réticence à répondre à la question, les cadres du réseau français n'ont rien à craindre. Mais encore. Les cotes d'écoute sont-elles primordiales pour lui? «Oui, répond-il. Je ne prône pas des cotes d'écoute à tout prix, mais dans le respect du mandat. Je pense aussi qu'en tant que diffuseur public, nous devons avoir une approche d'affaires et une saine gestion financière.»

Mais que dire des critiques des réseaux privés qui reprochent à Radio-Canada de jouer dans leurs platebandes et de leur faire une concurrence déloyale? Est-ce qu'une émission de variétés comme celle que Véronique Cloutier vient de lancer correspond au mandat public? «Tout à fait, répond le VP. Je m'objecte à la vision selon laquelle Radio-Canada ne doit faire que des émissions sérieuses et que l'humour et les variétés doivent aller au privé.»

«Le modèle change pour tout le monde et, dans ce contexte, tous les joueurs, privés et publics, doivent être forts. Si nous cessons de faire des variétés, nous allons perdre notre monde et le réseau public en sera affaibli.»

Du côté du numérique, le nouveau VP a l'intention de pousser sur la machine. Il affirme qu'ICI Tou.tv est en réflexion, que l'offre n'y est pas optimale et qu'un Netflix francophone devra voir le jour pour assurer la survie du contenu francophone.

«La seule façon de rejoindre la nouvelle génération, ceux qu'on nomme les cable cutters, qui ne fonctionnent qu'à partir des serveurs internet, c'est en améliorant nos plateformes numériques et en leur offrant un produit francophone aussi hot que le produit anglophone. Avec les barrières linguistiques qui tombent de plus en plus, l'enjeu, il est là.»

Et cet enjeu, Michel Bissonnette a bien l'intention de s'y attaquer, en ouvrant la porte à l'audace et à la créativité, parce que, dit-il, «le réseau public a le mandat d'essayer des affaires, quitte à se tromper».

Le 13 mars, Michel Bissonnette aura 50 ans. Pour ce tournant important, il s'est remis en forme, a perdu les kilos en trop pris en cessant de fumer. Tous les jours depuis le 11 janvier, il entre dans son bureau au 12e étage de la tour, avec l'avenir de Radio-Canada entre ses mains et un léger mal de ventre, signe pour lui qu'il est au bon endroit à ce moment-ci de sa vie.

Photo fournie par ICI Radio-Canada