À la veille du dévoilement par le gouvernement du Québec de sa politique en matière d'itinérance, un psychiatre spécialiste de la question lance un cri d'alarme: sur le terrain, les services aux sans-abri se sont détériorés depuis deux ans... et cet énoncé de politique risque fort de ne rien y changer.

«C'est bien, une politique. Elle est bien, la politique. J'ai même participé à sa rédaction! Mais c'est ce qu'on fait sur le terrain qui va réellement changer les choses. Et là-dessus, je suis vraiment découragé», dit le psychiatre Olivier Farmer, qui travaille au CHUM.

Un exemple? Le projet PRISM, lancé par le CHUM, qui a traité une quinzaine de sans-abri depuis novembre à l'intérieur même des murs de la mission Old Brewery, risque de se terminer dans un mois, faute de financement. «Nous n'avons pas reçu le moindre signal de l'Agence de la santé et des services sociaux pour un renouvellement du financement, encore moins pour développer le modèle», souligne le psychiatre.

À l'Agence, on indique qu'aucune décision n'a été prise. «Le CHUM doit présenter un bilan de mi-parcours sous peu. Nous analyserons le bilan et ferons le suivi avec les personnes concernées par la suite», répond Geneviève Bettez, porte-parole de l'Agence.

Détérioration

Avec la fin du projet Chez soi, financé par le gouvernement fédéral - qui logeait et suivait 230 sans-abri - combinée à une congestion massive aux urgences du CHUM induite par des changements édictés en janvier par l'Agence de la santé, le diagnostic du Dr Farmer est clair: les services aux sans-abri se sont détériorés.

«La situation des services pour les personnes en itinérance à Montréal et au Québec est plus désespérée aujourd'hui qu'elle ne l'était quand le gouvernement actuel est entré en fonction, et ce, malgré des dizaines ou plutôt des centaines de milliers de dollars dépensés en comités et groupes de travail de toutes sortes, pour des résultats dérisoires», dit-il.

Et le psychiatre craint que la politique en matière d'itinérance ne change guère ce tableau. La mesure phare de la politique, la création de 500 logements sociaux, n'est d'aucun secours pour la clientèle itinérante atteinte de troubles mentaux.

«Aucun de nos clients ne serait admissible à un logement social, explique-t-il, en raison des délais d'accès et des comités de sélection. Nos clients, ce n'est pas nécessairement au premier essai qu'ils réussissent à rester en logement. C'est souvent au troisième ou au quatrième essai. Le logement social, où la subvention est rattachée au logement, ça ne leur convient pas du tout.»

En optant pour le logement social, Québec fait également un mauvais choix financier, puisqu'un tel programme coûte plus cher que des subventions au logement couplées à des services de suivi intensif. «Le Québec fait fausse route et dilapide des ressources dans des modèles éculés de réponse à l'itinérance», conclut-il.

Les urgences psychiatriques débordent

À la mi-janvier, l'Agence de la santé a annoncé la fin de la politique de garde alternée pour les sans-abri. Auparavant, chaque hôpital de Montréal offrait à tour de rôle les services psychiatriques à la clientèle itinérante. Au moment de l'annonce, le CHUM avait dit craindre une congestion massive de ses urgences psychiatriques. Ce scénario semble se confirmer, selon les chiffres fournis par Olivier Farmer (voir tableau ci-dessous). «La direction du département de psychiatrie est très inquiète de la situation», dit-il.

«Nous avons effectivement été informés de l'affluence accrue à l'urgence du CHUM, la semaine passée. Nous rencontrons à nouveau les établissements concernés à ce sujet d'ici la fin de la semaine pour faire le suivi avec eux», indique Geneviève Bettez, porte-parole de l'agence de la santé de Montréal.