En pleine flambée de violence par armes à feu à Montréal, des membres de gangs de rue n’ont eu aucune gêne à « se pratiquer » dans des salles de tir et à s’en vanter sur les réseaux sociaux. Une experte policière met en lumière la banalisation totale des armes à feu et le phénomène des représailles au hasard pour « marquer des points ».

« Ça se tire dessus parce qu’un gars de la gang a couché avec une fille. C’est rendu pour n’importe quoi. C’est rendu une banalisation ! C’est vraiment banalisé. Certains appellent ça des jouets. Des jouets ! », s’indigne Caroline Raza, experte des gangs de rue sur les réseaux sociaux au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).

La policière témoignait mardi au palais de justice de Saint-Jérôme dans le cadre des observations sur la peine d’Hensley Jean, reconnu coupable d’une tentative de meurtre avec une arme à feu à Saint-Eustache en 2019. Membre des « Goon Squad » ou « 3369 », un gang émergent d’allégeance rouge allié au puissant gang Zone 43, il risque la prison à vie. Il aurait probablement tué un homme sans histoire si son arme ne s’était pas enrayée.

PHOTO TIRÉE DU COMPTE INSTAGRAM D’HENSLEY JEAN

Hensley Jean

Les attaques par armes à feu font les manchettes jour après jour depuis quelques mois à Montréal, devenant ainsi un enjeu politique majeur à l’approche des élections municipales. Dans les secteurs chauds de Montréal-Nord et de Rivière-des-Prairies, la « majorité » des fusillades sont liées à une guerre entre deux gangs rivaux, les Zone 43 de Montréal-Nord et les Profit Boyz de Rivière-des-Prairies, a expliqué Caroline Raza.

Ouvrir le feu pour une « banalité »

Ces criminels n’ont même plus besoin d’un motif sérieux pour tuer un rival. Une « banalité » suffit maintenant pour ouvrir le feu. Même au sein des Zone 43, certains se sont entretués simplement pour de l’argent de cantine en prison.

Ce n’est pas juste pour des conflits de territoire de stupéfiants.

Caroline Raza, experte des gangs de rue sur les réseaux sociaux au Service de police de la Ville de Montréal

S’ils s’affichent continuellement avec leurs « guns » sur les réseaux sociaux pour montrer leur puissance, des membres de gang n’hésitent plus à s’afficher en public avec des armes à feu. Ainsi, dans la dernière année, des criminels reliés à Hensley Jean sont allés « se pratiquer dans les salles de tir en banlieue, sur la Rive-Nord et la Rive-Sud et à Montréal pour essayer différentes armes à feu », a révélé Caroline Raza. Ceux-ci s’en vantaient ensuite en ligne, menant les policiers à intervenir.

Un nouveau phénomène, le « scoring », contribue à la flambée de violence dans la métropole. Quand un membre d’un gang est tué, ses amis se dépêchent maintenant d’attaquer le quartier du gang rival pour « faire des points », détaille la policière. Leur objectif est de « tirer partout dans le secteur » pour se venger, même s’ils ignorent qui est l’auteur du meurtre. À l’automne 2020, un homme qui n’avait rien à voir avec ce conflit a été atteint par balle pendant un épisode de « scoring ». « Il ne marchera plus jamais », indique Caroline Raza.

« [La situation] est plus que préoccupante. Des gens qui habitent ces secteurs, c’est commun, ils n’appellent plus la police. Tout le monde est visé », déplore la policière.

Les citoyens, leur quartier, ils ne le possèdent plus, ils ne peuvent plus en jouir comme ils devraient en jouir.

Caroline Raza, experte des gangs de rue sur les réseaux sociaux au Service de police de la Ville de Montréal

Les armes à feu sont si banalisées que les adolescents sont maintenant utilisés pour faire les « jobs les plus graves », puisque leurs peines sont peu sévères. Néanmoins, énormément d’adultes restent prêts à « faire des contrats » pour de l’argent et de la reconnaissance.

Aussi derrière les barreaux

Le conflit entre les Zone 43 et les Profit Boyz s’envenime aussi derrière les barreaux. C’est actuellement la « guerre ouverte » entre ces gangs à la prison de Rivière-des-Prairies (RDP), au point où des mesures de sécurité spéciales ont été mises en place pour éviter une flambée de violence.

« Actuellement la tension est élevée », a témoigné Nicolas Laroche, chef d’unité à la détention de RDP, où est détenu Hensley Jean. Récemment, un membre des Zone 43 s’est fait lancer de l’eau bouillante alors qu’il circulait dans le secteur de la « santé ». Des rivaux s’y trouvaient en raison de la surpopulation carcérale. Un détenu a aussi bondi en direction d’un rival dans le corridor. Une attaque évitée de justesse.

Depuis deux semaines, les détenus reliés à ces deux gangs sont systématiquement fouillés à chaque changement de secteur. « La tension est palpable. On a peur que des évènements violents avec des armes artisanales soient faits à la détention. […] À la première chance qu’ils ont, ils vont s’essayer [pour attaquer un ennemi] », a témoigné M. Laroche.

Le procureur de la Couronne MSteve Baribeau réclame la prison à vie à l’endroit d’Hensley Jean. Les audiences se poursuivent mercredi devant la juge Hélène Di Salvo.

ADN d’Hensley Jean

Un enquêteur a révélé que l’ADN d’Hensley Jean a été retrouvé sur un pistolet impliqué dans le meurtre de John-Danny Elias Espinal à Laval, le 6 mars 2019. Le suspect a tiré plusieurs fois sur la victime à partir d’un véhicule. Aucune accusation n’a été déposée, mais l’enquête se poursuit.