Assassiné en janvier dernier, un des accusés du projet antimafia Clemenza a bénéficié d'un arrêt du processus judiciaire à titre posthume, cette semaine. Mais Ali Awada avait une importante dette de drogue qui est devenue un héritage empoisonné pour celui qui l'avait mis en contact avec des fournisseurs de cocaïne.

LA TRAME DE FOND

Le 21 octobre 2016, Ali Awada, 28 ans, lié au crime organisé libanais et italien, est libéré provisoirement. Il est accusé d'enlèvement, de séquestration et de complot pour des incendies criminels après avoir été arrêté en 2014 dans le projet Clemenza, mené par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) contre la mafia montréalaise. C'est dans le cadre de cette enquête que 36 personnes, dont lui, ont bénéficié d'un arrêt du processus judiciaire cette semaine.

Le 13 janvier 2017, Ali Awada est tué près de chez lui, à Montréal. Il aurait été impliqué dans le trafic de cocaïne, contrevenant ainsi aux conditions qui lui avaient été imposées, selon l'histoire qui suit et qui est racontée dans des documents judiciaires dont La Presse a obtenu copie.

Un mois après le meurtre, un homme communique avec le 911, car il a maille à partir avec des individus qui lui réclament 80 000 $ pour deux kilos de cocaïne qu'Awada aurait acquis sans les avoir jamais payés. L'homme raconte avoir servi d'intermédiaire entre Awada et les fournisseurs de cocaïne. Ceux-ci veulent récupérer leur argent et le tiennent maintenant responsable de la dette.

LE RENDEZ-VOUS

Le 18 février, l'homme qui aurait vendu les kilos de cocaïne à Awada appelle donc l'intermédiaire, Ibrahim (nom fictif et qui serait la victime dans cette affaire), et fixe un rendez-vous pour 13 h 30, dans un dépanneur du boulevard Henri-Bourassa Ouest, à Montréal.

À 13 h 30, Ibrahim arrive sur les lieux et rencontre deux hommes qui lui demandent de marcher un peu. Au même moment, le vendeur de la cocaïne appelle Ibrahim. « N'aie pas peur. Va simplement avec eux », lui dit-il en anglais.

Le trio marche vers l'ouest lorsqu'un Ford Escape noir s'immobilise à leur hauteur. Quatre suspects sortent du véhicule. Ils ordonnent à Ibrahim de monter à bord. Ce dernier s'assoit sur la banquette arrière, au centre.

Un suspect appuie une arme à feu sur les côtes d'Ibrahim. Un autre enfonce sa tuque pour l'empêcher de voir.

Il identifie néanmoins l'endroit où il est emmené, derrière le 754, chemin du Golf, à L'Île-des-Soeurs, près des quais de chargement.

Un septième suspect, qui semble être le chef du groupe, apparaît. Il exige d'Ibrahim 80 000 $ pour rembourser la dette de la drogue. La victime refuse. Elle est alors battue, et les suspects lui volent son porte-monnaie contenant argent et cartes.

Les suspects s'engagent à libérer la victime si celle-ci consent à payer les 80 000 $ le lendemain. Ibrahim accepte et il est ramené au dépanneur où on lui avait donné rendez-vous au départ.

Le lendemain, le 19 février, l'un des suspects appelle un proche d'Ibrahim. Il lui donne un numéro de téléphone qu'il doit donner à son tour à Ibrahim. Il avise le proche de la victime que celle-ci doit absolument le rappeler, « sinon, il va arriver quelque chose de mal ».

Peu après, Ibrahim, qui a reçu le message, appelle le suspect. Ibrahim veut récupérer son portefeuille. Le suspect lui donne rendez-vous pour le lendemain.

UNE COURSE FOLLE

Le 20 février, Ibrahim appelle un ami pour lui servir de témoin. À bord de la voiture de ce dernier, le duo se rend à 17 h au même dépanneur où Ibrahim a été enlevé deux jours plus tôt.

À 18 h 45, un Ford Escape noir arrive avec deux suspects à bord, dont l'un n'était pas présent la veille. Ils invitent Ibrahim à monter à bord, mais ce dernier refuse et monte à bord de la voiture de son ami qui démarre en trombe.

Le Ford Escape suit la voiture. L'ami d'Ibrahim brûle un feu rouge, aussitôt imité par le conducteur du véhicule suspect.

Sur le boulevard de l'Acadie, en direction nord, près de la rue Arthur-Lismer, le véhicule noir roule à la hauteur de la voiture de l'ami d'Ibrahim.

L'un des passagers sort un pistolet « style 9 mm », le pointe vers la voiture et fait signe à l'ami d'Ibrahim, avec l'arme, de se ranger en bordure de la rue.

Peu après, Ibrahim reçoit un appel sur son cellulaire. Il active le haut-parleur. Un homme lui dit en anglais de s'arrêter, qu'il veut seulement lui parler. Mais l'ami d'Ibrahim accélère pour tenter de semer le véhicule suspect qui les suit toujours.

Durant la poursuite, Ibrahim reçoit un deuxième appel. « Arrête, ou je vais te tuer », lui dit la voix. L'ami d'Ibrahim roule encore, pour semer les suspects. Il finit par communiquer avec le 911 pour donner rendez-vous aux policiers dans une station-service du boulevard de l'Acadie. Le Ford Escape s'est évaporé. Le duo est secouru par des patrouilleurs.

Le lendemain, Ibrahim reçoit un autre appel d'un suspect, à partir du même numéro de téléphone. Le suspect lui dit que la dette de 80 000 $ s'établit maintenant à 130 000 $, soit 50 000 $ de plus. À noter que le numéro de téléphone utilisé par le suspect est lié à des agences d'escortes, selon des recherches des policiers.

LE DÉNOUEMENT 

À la fin du mois de février, trois individus sont arrêtés par les enquêteurs de la section Crime de violence de la Division nord du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) relativement à cette affaire.

Faouzi Harmali, 25 ans, Mehrdad Salemi Seyfeddin, 29 ans, et Emmanuel Herbert Viellot-Blaise, 31 ans, ont été accusés de séquestration avec usage d'arme à feu, d'usage d'arme à feu et de complot.

Les deux derniers ont été libérés contre cautionnement en attendant la suite des procédures fixées à la fin du mois prochain. Mais Harmali est demeuré détenu parce qu'il serait impliqué dans une tentative de meurtre survenue au Lounge Soouund Club de Laval, le 22 février, quelques jours après l'épisode de séquestration.

Les enquêteurs du SPVM et ceux de la police de Laval ont d'ailleurs joint leurs efforts pour une partie de l'enquête.

« La victime craignait pour sa vie et celle de sa famille. Dès que nous avons reçu la plainte, nous avons priorisé l'enquête. Tous les huit suspects dans l'affaire de séquestration ont été identifiés, mais la preuve n'était pas suffisante pour tous les accuser », explique le commandant de la section Crime de violence de la Division nord du SPVM, Guy Bianchi.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l'adresse postale de La Presse.

photo archives la presse

Faouzi Harmali, 25 ans, a été accusé de séquestration avec usage d'arme à feu, d'usage d'arme à feu et de complot.