Au cours des dernières années, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) avait annoncé qu'il ferait de la lutte contre le proxénétisme une priorité. Il tiendra promesse l'automne prochain, a appris La Presse.

Depuis au moins une dizaine d'années, une poignée d'enquêteurs, dirigés par le sergent-détective Dominic Monchamp et cantonnés dans leur bureau du centre opérationnel Ouest, s'occupent de la traque des proxénètes, qui sont souvent violents envers les prostituées sous leur joug.

À compter de septembre, leurs effectifs doubleront, passant de cinq à dix enquêteurs. À cela s'ajouteront un lieutenant-détective, un analyste et deux agents de concertation affectés notamment au programme des Survivantes, qui vient en aide aux jeunes femmes sorties de l'enfer de la prostitution.

Mais il y a plus. La section déménagera ses pénates à la Place Versailles et relèvera maintenant de la section des crimes majeurs du SPVM, où se trouvent déjà la section des agressions sexuelles et le module de lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants - un total donc d'environ 45 enquêteurs spécialisés dans les crimes de nature sexuelle qui mettront ainsi en commun leur expérience, leurs connaissances et leurs efforts.

«On augmente notre robustesse et on se donne une vision globale du proxénétisme sur l'ensemble du territoire mont-réalais. Le proxénétisme est un crime majeur. Ne serait-ce que par les techniques d'enquête utilisées, le traitement à la cour, le fait que ces enquêtes se terminent souvent par un procès devant juge et jury», explique le commandant de la section des crimes majeurs, Vincent Rozon.

Croyances déboulonnées

Ni le commandant Rozon ni le sergent-détective Monchamp n'est en mesure de dire si le proxénétisme est en hausse à Montréal. «C'est difficile à dire. Plus nous enquêtons, plus nous en découvrons. Cela ne veut pas nécessairement dire que le phénomène est en augmentation. Grâce au programme des Survivantes, il y a plus de dénonciations qu'avant. Au cours des dernières années, 2000 policiers ont aussi été formés pour identifier les proxénètes et leurs victimes», affirme Vincent Rozon.

Une tendance surprenante et inquiétante est toutefois constatée; la prostitution et la danse dans les bars ne sont plus seulement l'affaire de jeunes femmes vulnérables en fugue, raflées à la sortie d'une station de métro. Elles sont de plus en plus nombreuses, en provenance de tous les milieux, à choisir d'être en lien avec un proxénète.

«Cela n'est pas étranger à la banalisation du sexe. On voit de jeunes femmes dans la vingtaine qui choisissent ça. Le travail de recrutement est alors beaucoup plus facile. Nous vivons à une époque où les pimps sont souvent vus comme des héros. [...] Cela correspond aux valeurs de notre société où le paraître, l'argent, l'hypersexualisation et la réussite sont très importants», explique le sergent-détective Monchamp, véritable pionnier de la lutte contemporaine contre le proxénétisme et la traite de personnes à la police de Montréal.

Une fois installés dans leurs nouveaux locaux, ses enquêteurs s'attaqueront également à un phénomène moins connu: la prostitution de jeunes hommes, notamment dans le Village gai. «Il y a aussi de jeunes hommes qui sont victimes de la traite. C'est plus caché, il y a moins de dévoilement. Nous allons porter davantage d'attention à ce phénomène», promet le sergent-détective.

La ruée vers l'Ouest

Une autre tendance est remarquée par les enquêteurs de la lutte contre la prostitution et la traite de personne de la police de Montréal: alors que les filles des autres provinces canadiennes se déplacent rarement au Québec, les Québécoises sont nombreuses à être envoyées ailleurs au Canada, en particulier à Fort McMurray, dans le nord de l'Alberta, où des centaines de travailleurs québécois et d'ailleurs affluent depuis quelques années, à la faveur du «Klondike pétrolier» des sables bitumineux.

«C'est un marché comme la drogue ou les armes. C'est le concept de l'offre et de la demande. On peut observer des mouvements: les filles changent de pimps, elles sont vendues à d'autres. Les Québécoises qui vont dans l'Ouest sont souvent placées dans les hôtels plutôt que les bars pour couper les intermédiaires. Généralement, les proxénètes utilisent les petites annonces dans les journaux», explique M. Monchamp.

Tous les deux mois, l'équipe du sergent-détective Monchamp et les responsables de la lutte contre les proxénètes des différents services de police du nord de l'Alberta tiennent une conférence téléphonique dans un contexte d'entraide et d'échange d'informations.

Pas plus tard que la fin de semaine dernière, des contacts ont été établis avec la police de Calgary pour rapatrier une jeune Québécoise.

Les échanges sont monnaie courante avec les autres services de police du Québec et la Gendarmerie royale du Canada. Le sergent-détective Monchamp donne également une formation au Collège canadien de police, à Ottawa.

Trois proxénètes arrêtés par l'escouade contre la traite de personnes

Curtis Hutchison, 41 ans

Reconnu coupable de traite de personnes, proxénétisme et voies de fait. Condamné à six ans de pénitencier en mai 2014.

Hutchison, qui a fait trois victimes, était particulièrement cruel avec les jeunes femmes qui se retrouvaient entre ses griffes et n'hésitait pas à utiliser la torture. Lors de son procès, en septembre 2012, l'une d'elles avait témoigné avoir été battue à plusieurs reprises alors qu'elle était enceinte. Il a forcé une autre de ses victimes à se mettre à genoux sur des grains de riz durant de longues minutes.

Jahmane Bolton, 30 ans

A plaidé coupable à des accusations de proxénétisme, séquestration et voies de fait. Condamné à quatre ans de pénitencier en janvier 2014.

Rappeur proxénète surnommé Frost, Bolton a eu durant trois ans et demi comme esclave sexuelle une jeune femme qu'il forçait à danser et à se prostituer de 16h à 3h, six ou sept jours par semaine. Elle rapportait jusqu'à 2800$ par semaine et Bolton utilisait une bonne partie de cet argent pour soutenir son train de vie et payer son loyer de 4000$ par mois au 1000, rue de la Commune. Il a exigé de sa victime des dizaines de milliers de dollars pour qu'elle rachète sa liberté. Celle-ci a pris la fuite après une séquestration de deux jours.

Evgueni Mataev, 41 ans

Reconnu coupable de voies de fait graves et de proxénétisme en décembre 2014. En attente de sa peine. Il pourrait  être déclaré délinquant dangereux.



Durant six mois, en 2010-2011, il a utilisé comme esclave sexuelle une jeune Américaine qu'il surnommait sa «gangsta bitch». Un soir de janvier 2011, Mataev a poignardé au cou un homme qui venait d'avoir une relation sexuelle avec sa victime et qui refusait de payer. Après le crime, Mataev a forcé la jeune femme à nettoyer le sang et à se débarrasser de vêtements et de linges ensanglantés en les brûlant.