Midi au square Viger. Le froid et le vent vous glacent les os. Dans un coin, un homme dort dans une tente. Tout près, un autre sans-abri est recroquevillé sous une couverture bleue. Un vélo, un amas de vêtements à moitié coincé sous la glace, des déchets et quelques pigeons complètent le tableau.

Il y a une dizaine de jours, un sans-abri de 61 ans a été retrouvé mort de froid à quelques mètres de là. Des passants avaient remarqué son corps inanimé sur un banc du parc.

Malgré cela, de nombreux sans-abri passeront le Nouvel An à la belle étoile, dans le froid et l'indifférence.

François Marceau est de ceux-là. C'est lui qui dort emmitouflé dans une couverture bleue, allongé sur des cartons à côté de la tente de son compagnon d'infortune. La barbe hirsute, les cheveux longs bruns en vadrouille, l'homme de 25 ans émerge, cigarette au bec, d'un long sommeil. Il assure avoir bien dormi, malgré le froid de canard : «J'ai un gros chandail en laine, un sac de couchage, quatre couvertures et un bon coussin. Je suis bien, tant que le ciel me tombe pas sur la tête avec des 30 au-dessous de zéro.»

 

M. Marceau connaissait vaguement le sans-abri décédé près de son campement. «Lorsqu'ils sont venus chercher ses affaires, les policiers m'ont demandé si j'allais bien. Je leur ai répondu que j'étais correct et ils sont partis», souligne-t-il.

 

Son histoire est classique dans le monde de l'itinérance. Suivi en psychiatrie, il aurait été mis à la porte des ressources d'hébergement où il habitait. Il aurait même été interdit de séjour dans un refuge pour sans-abri, après s'être fait pincer à l'intérieur avec de la marijuana.

 

François Marceau accuse son psychiatre de tous ses malheurs et de son retour dans la rue, où il a traîné durant un an à l'âge de 18 ans. Dans l'intervalle, il s'est un peu repris en main, a habité des appartements supervisés, a déniché un boulot. Le jeune homme déchargeait des camions pour une compagnie d'alimentation. «C'est fini! Je n'ai plus aucun revenu. Tant qu'à travailler au salaire minimum, j'aime mieux être robineux», peste-t-il.

 

Pour se nourrir, il écume les soupes populaires. Pour s'évader, il fume les mégots de joints trouvés un peu partout. Il ne fait jamais la manche. Ses journées, il les passe surtout seul, quelque part entre ses deux oreilles. Ses propos sont d'ailleurs souvent incohérents. Il parle de l'ancienne reine de Birmanie, qu'il jure avoir rencontrée plusieurs fois rue Sainte-Catherine.

 

Son souhait pour le Nouvel An? «J'espère être pris par la police pour me faire entrer dans un institut psychiatrique.»

 

Pendant que François Marceau s'extirpe finalement de son sac de couchage, Gilles Langlois, un intervenant de rue pour le Projet Compassion, débarque au square Viger. Il connaît bien François, avec qui il a mangé et discuté à quelques reprises. «Lui, c'est un coriace», lance M. Langlois en montrant le jeune homme qui est en train de «faire son lit».

 

L'intervenant est venu chercher François Marceau pour l'amener dîner. «C'est le Nouvel An. On va te payer la traite! Tu prends des hot-dogs, des patates, n'importe quoi!» promet M. Langlois, qui a lui-même connu l'itinérance. «J'ai vécu l'expérience d'une nuit dehors l'hiver. Il faut avoir la couenne dure», confesse-t-il.

 

Les refuges crient famine

 

Les besoins sont criants pour les 30 000 sans-abri qui arpenteraient les rues de la ville. Les refuges sont débordés et crient famine. Les ressources d'aide espèrent profiter de la subvention de 24 millions annoncée la semaine dernière par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale. Trois jours après la découverte du sans-abri mort de froid, Québec s'est engagé à verser cette somme à la Ville de Montréal au cours des trois prochaines années.

 

«J'ose espérer que ce n'est pas de la récupération politique. Il faut notamment accroître l'accès aux services», a indiqué Pierre Gaudreau, coordonnateur du Réseau d'aide aux personnes itinérantes de Montréal (RAPSIM).

 

Selon lui, plusieurs sans-abri, aux prises avec de lourds problèmes de santé mentale ou de dépendance, demeurent réfractaires à l'idée d'intégrer le réseau d'aide et de se conformer aux règlements imposés par les refuges.

 

Et continuent, comme François Marceau, à coucher dehors en plein hiver.

 

Dans le froid et l'indifférence.