Accusés du viol brutal d'un enfant de 11 ans dans une école du Japon, deux frères enseignants québécois plaident leur innocence. Convaincue d'avoir été victime d'une fraude élaborée, leur congrégation religieuse s'apprête à déposer une plainte à la police australienne contre la victime alléguée, Grant Mathiesen, un escroc professionnel... et un meurtrier. La Presse a fait enquête.

Introduction: Une congrégation religieuse crie à la fraude

Les deux frères québécois sont entrés dans la chapelle où l'écolier juif s'était retiré pour déguster son plat favori: des rollmops, des filets de hareng marinés, roulés et piqués de gros cure-dents. Ils l'ont sodomisé si brutalement que les cure-dents que l'enfant tenait toujours entre ses poings serrés lui ont transpercé les paumes. Quand tout a été fini, l'un des pédophiles a trempé son mouchoir dans l'eau bénite pour s'en nettoyer le pénis.

Le récit de Jacob Bernstein, violé à Tokyo par deux Québécois membres des Frères de l'instruction chrétienne, est insoutenable de brutalité et de perversion.

Il est aussi entièrement faux, clame la congrégation.

L'affaire a terni la réputation de deux frères, éclaboussé une école et ébranlé la congrégation tout entière. L'un des frères accusés, Guy Lambert, a dû rentrer d'urgence au Québec après une vie consacrée à l'enseignement au Japon.

Jacob Bernstein est un pseudonyme utilisé dans plusieurs reportages accablants pour le frère Lambert et sa congrégation. Il s'agit en réalité de Grant Mathiesen, un Australien anglican de 62 ans qui prétend avoir été sodomisé en 1965 à Tokyo, mais aussi en 1967, dans des circonstances similaires, par le surveillant de dortoir d'une prestigieuse école anglicane de Brisbane.

Mathiesen est aussi un meurtrier.

En 1980, il a tué une femme de sang-froid, dans le seul but de toucher le produit de ses polices d'assurance vie. Le détective qui a résolu le meurtre se rappelle avoir eu affaire à un fraudeur endurci d'une «terrible cruauté».

Notre enquête a établi que Mathiesen a livré des informations douteuses ou carrément fausses en décrivant les agressions sexuelles qu'il a prétendument subies au Japon et en Australie. Dans les deux cas, il a réclamé - et obtenu - des dizaines de milliers de dollars en compensation.

Bien que le frère Lambert ait signé de troublants aveux, sa congrégation est convaincue d'avoir été la cible d'une fraude élaborée. Armée du rapport d'un détective privé, elle vient de déposer une plainte pour «harcèlement criminel à l'aide d'un ordinateur» contre Mathiesen à la police australienne.

Il y a trois ans, les Frères de l'instruction chrétienne avaient déjà porté plainte à la police de Tokyo pour extorsion, mais l'enquête est en suspens puisque Mathiesen ne réside pas au Japon, explique Conrad Lord, l'avocat de la congrégation.

Me Lord dit toutefois avoir obtenu l'assurance que Mathiesen, qui a caché ses antécédents criminels afin d'entrer au Japon et de réclamer des millions de dollars aux frères québécois, sera arrêté s'il tente à nouveau de s'introduire sur le territoire japonais.

Mathiesen nie toute tentative de fraude. «Leur affirmation est répugnante, nous a-t-il écrit. L'Église catholique a historiquement caché les agressions sexuelles contre des enfants dans le monde, c'en est un autre exemple.»

Depuis plus d'une décennie, les scandales de pédophilie et de camouflage secouent l'Église, qui tente de réparer ses torts à coups de milliards de dollars. Dans ce contexte d'extrême méfiance, il est parfois difficile pour des membres du clergé visés par des allégations de se faire entendre.

Voici l'histoire rocambolesque d'une poignée d'entre eux.