Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé, auteurs du site Ciao-Bye, ont tout quitté pour partir à l'aventure quelques mois. Ce couple de jeunes trentenaires, qui travaillait dans le milieu publicitaire, raconte son voyage, une escale à la fois. Pour conclure la série: l'ascension nocturne du mont Batur, à Bali, en compagnie de la guide Sami.

Il est 2 h du matin, on est tirés du sommeil en sursaut au son d'un réveil réglé un peu trop fort par peur de passer tout droit. Tout à coup, l'idée de faire l'ascension d'un volcan actif, le mont Batur, en pleine nuit nous semble ridicule. Trop tard pour les regrets, notre taxi nous attend déjà devant la porte de notre hôtel.

On roule à une bonne vitesse, tandis que notre chauffeur nous parle de tout et de rien. À notre arrivée, une heure et demie plus tard, on remarque sans surprise que l'aventure nocturne est populaire et l'organisation, bien rodée. On assigne un guide à chaque groupe de visiteurs. La nôtre s'appelle Sami, une jeune femme volubile à l'humour cinglant. Pimpante, avec un anglais irréprochable, elle parle même quelques mots de français. Elle nous lance : « C'est parti mon kiki  ! » et nous invite à la suivre dans la pénombre. On l'adore déjà.

Le premier segment du trek se déroule sans embûches.

Sami nous fait la conversation en anglais, sans jamais s'essouffler. Elle nous pointe un jeune guide qui grimpe non loin : « Lui, c'est mon ex. On ne s'aime plus même si on s'aime encore. » Elle se tourne vers lui et lui dit : « Au fond, on s'aime, pas vrai ? » Il acquiesce. Espiègle, Sami nous murmure alors : «  En fait, je ne l'ai jamais aimé. »

À mi-chemin du trajet, elle nous demande de nous arrêter quelques instants devant un petit temple de fortune. « Ça ne prendra qu'une, ou deux, ou dix minutes », nous lance-t-elle, toujours avec le même sourire. Puis elle se fait sérieuse, s'agenouille pour prier, allume un bâton d'encens et dépose une offrande avant de se relever.

Le dernier segment de l'ascension s'avère plus périlleux, on enjambe les roches volcaniques prudemment sur un terrain abrupt et glissant. L'air se rafraîchit, mais l'effort physique nous garde au chaud.

Le spectacle

Nous voilà enfin arrivés au sommet. Le soleil, lui, n'a toujours pas fait son apparition. On devine la silhouette du volcan voisin, le mont Agung, qui domine l'horizon et se dessine sur le ciel étoilé. Malgré la foule de randonneurs qui nous rejoignent, l'ambiance est étrangement calme. Les lampes frontales s'éteignent, et l'attente du lever de soleil se déroule dans un silence presque solennel.

Le ciel se colore doucement et chaque minute qui passe pendant cette heure fait apparaître un tableau qui nous était jusque-là invisible. À la manière d'une photo Polaroid qui se développe en temps réel sous nos yeux, on aperçoit à présent le lac Batur, qui borde le mont Agung.

Sur un versant du volcan Batur apparaissent les impressionnants vestiges de la dernière éruption d'envergure, survenue en 1963 : une épaisse couche de lave sédimentée, qui forme un drapé noir sur des kilomètres.

On se dirige vers le vaste cratère et la fumée qui s'en échappe nous rappelle que ce volcan, bien que tranquille, est bel et bien toujours actif. Sami pointe en direction de la vapeur. « Approchez-vous le visage, c'est comme un facial et c'est beaucoup moins cher qu'au spa ! » On s'exécute et elle nous lance : « Ça va faire 10 $ », puis elle éclate de rire.

Le temps s'écoule rapidement et le soleil est déjà bien haut quand on amorce notre descente. Sami nous dirige vers un chemin plus tranquille qui traverse une forêt avoisinante. On se retrouve bientôt seuls, et les discussions se font plus sérieuses.

Derrière le sourire perpétuel de notre guide se cachent deux événements tragiques : la perte récente de sa jeune soeur, foudroyée par une maladie mystérieuse et intraitable, et celle de son frère de 13 ans, mort noyé dans un lac voisin. Elle nous raconte ses histoires sans interrompre sa progression dans la forêt, comme si rien ne pouvait arrêter sa force tranquille, à l'image du volcan dont elle fait l'ascension quotidienne. Elle nous avoue aussi vouloir bientôt retourner aux études. On lui répond qu'elle a un talent certain pour les langues. Elle nous promet qu'elle continuera à apprendre le français et lance en nous quittant : « Les bonbons, c'est bon pour le moral. »

L'ascension du mont Batur en sa compagnie, c'est aussi bon pour le moral  !

Photo Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé, collaboration spéciale

L'ascension commence en plein milieu de la nuit, afin d'admirer le lever de soleil au sommet.

Photo Joëlle Choquette et Iouri Philippe Paillé, collaboration spéciale

Au sommet, les nombreux voyageurs font silence pour profiter du moment.