Depuis son éveil, le colosse économique chinois a provoqué bien des dégâts, ravageant son propre patrimoine architectural à coups de pelleteuse. L'ambiance des villes d'antan s'est-elle ainsi définitivement évanouie? Pas à Pingyao, dont les remparts l'ont aussi préservé des assauts de la modernité.

Vues du ciel, les fortifications de cette cité du nord-est de la Chine esquissent une tortue - symbole de longévité, selon les croyances traditionnelles. Une caractéristique qui sied à ravir à Pingyao, rare ville du pays à avoir traversé l'épreuve du temps. «Sa disposition est le parfait reflet des développements de styles architecturaux des villes Han», souligne l'UNESCO au sujet de cette ville fondée au XIVe siècle.

Mais contrairement aux sites historiques momifiés, Pingyao demeure plus vivace que jamais: en s'immergeant dans la joyeuse effervescence de ses rues piétonnières, on plonge droit dans le passé.

Toits, soya et artisanat

Pour tâter le pouls des lieux, débutons par un simple flânage. Boutiques d'artisanat, temples séculaires, restaurants familiaux, antiquaires, salons de thé... les façades traditionnelles et les toits d'époque s'épousent et s'enchaînent, comme figés dans le temps. Le long de deux axes perpendiculaires, cernés d'anciens miradors et étalés sur 2 km2, les quartiers de la vieille ville font renaître une Chine médiévale répondant à tous nos fantasmes d'orientaliste.

C'est du haut des remparts, accessibles aux visiteurs, que l'on apprécie le mieux l'architecture globale de la cité, avec son océan de tuiles grisâtres aux élégantes ondulations. Là-haut, vous côtoierez poètes, archers et falotiers, mais ils ne sauront guère vous renseigner, muets comme les statues de bronze qu'ils sont devenus.

De retour dans les rues grouillantes, on admire les badauds en tunique de soie s'exerçant au jianzi (jeu de jongle avec un volant à plumes). Ce fourmillement est loin de se tarir une fois la nuit tombée. Pingyao se pare alors de lanternes par centaines, illumine ses vitrines et cuisine à toute vapeur (parmi les innombrables spécialités: le boeuf rôti au soya). Toute balade nocturne vous envoûtera jusqu'aux draps; car ici, même les plus modestes auberges jouissent d'un charmant cachet.

Divines devises

Si l'essor économique a rasé bien des villes d'époque, paradoxalement, celui-ci a fait éclore Pingyao, berceau du système bancaire chinois dès le XIXe siècle. Allons jeter un coup d'oeil derrière les façades, où anciens établissements financiers, résidences de richissimes familles, salles des coffres et autres musées disséminés à travers la cité sont parfaitement conservés.

À proximité de la porte sud, l'ancien siège administratif livre aussi ses secrets : salles et instruments de torture (dont un effrayant cheval de bois clouté), mobilier d'antan, cours aménagées, tours de garde offrant des vues imprenables...

Pour couronner le tout, divers temples, de confession taoïste (Temple des dieux de la cité) ou confucéenne, veillent sur Pingyao. Cependant, le plus intrigant d'entre eux, Shuanglin, s'est implanté en dehors de l'enceinte de la ville, à quelque 5 km. Vieux de plus de 1500 ans, il abrite des centaines de statues, impressionnantes d'expressivité et, fait rare, revêtant encore leurs pigmentations originales.

À regret, on quitte cette parenthèse temporelle pour retrouver cette Chine de béton et de néons, cette Chine qui a oublié...

Un billet unique (30 $ environ) donne accès aux sites de la ville et aux remparts.

PHOTO SYLVAIN SARRAZIN, LA PRESSE

Contrairement aux sites historiques momifiés, Pingyao demeure plus vivace que jamais.