«Mais c'est juste des pierres!», s'exclame Yu, jeune Chinoise rencontrée à Kunming, étonnée par mon projet d'aller visiter la fameuse forêt rocheuse de Shilin. Parfois, mieux vaut ne pas suivre les conseils des habitants. Car réduire ce site insolite du Yunnan à un amas de vulgaires cailloux, c'est comme si on déclarait au sujet des chutes du Niagara: «Mais c'est juste de l'eau!»

Indubitablement, se perdre dans ce labyrinthe naturel du sud-ouest de la Chine et l'admirer depuis ses sommets est une expérience qui restera gravée dans la mémoire de tout visiteur. Commençons par un éboulement de chiffres. Shilin, c'est une aire protégée de près de 300 km2 (dont seulement 1 km2 accessible aux touristes), vieille de 270 millions d'années, parée de rochers dressés tels des arbres pouvant atteindre 30 mètres (100 pieds).

Déjà intimidants par leur hauteur, les rochers impressionnent surtout par leur profusion, formant une mer grise s'étendant à perte de vue. Pour couronner le tout, certains ont été taillés dans les formes les plus improbables, laissant à chacun, comme face à un nuage, le soin d'imaginer ce qu'il veut y voir.

Ne nous y trompons pas, ces gigantesques aiguilles ne sont nullement des stalagmites, mais le résultat d'une érosion sous-marine datant de l'époque immémoriale où ces terres étaient immergées.

Menhirs made in China

S'étendant sur plus de 5 km, un réseau de sentiers serpente au gré des géants de calcaire. Même avec un plan en mains, le labyrinthe a tôt fait de vous déboussoler, ce qui ne fait que décupler le plaisir d'en gravir les escaliers, de se faufiler dans ses brèches étroites ou de rêvasser, accoudé aux petites tables aménagées au pied de ces menhirs chinois démesurés. En famille, c'est l'extase: aucun enfant ne pourrait rester insensible à pareil terrain d'aventures (restez groupés, on peut vraiment s'y perdre!).

Des panneaux indicateurs s'avéreront cependant d'un grand secours pour qui veut atteindre l'un des belvédères juchés sur les cimes du site, offrant des vues panoramiques magistrales. De là, on jurerait que ces oeuvres foisonnantes furent taillées par la main de l'homme ou par quelque titan d'une époque révolue, certaines pierres semblant avoir été empilées.

Des pierres qui chantent

Pour contredire une seconde fois mon amie Yu, le site de Shilin permet d'apprécier bien plus que de simples pierres. Au détour d'une colonne colossale, tôt ou tard, on se retrouve nez à nez avec des Yi, membres d'une minorité ethnique locale aux costumes traditionnels hauts en couleur. Certains d'entre eux vendent des souvenirs, de l'artisanat ou des petits plats sur le site même, tandis que d'autres organisent danses et prestations musicales dans des clairières formées par des cercles de pierre. Largement de quoi égayer les teintes grises et briser le silence des lieux.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse

Le côté touristique vire parfois au comique: un kiosque propose aux visiteurs de se parer de costumes traditionnels locaux, le temps d'une séance photographique. Une foule de Chinois se prêtent ainsi au jeu, dans des accoutrements parfois... carnavalesques!

La prochaine fois, j'inviterai mon amie Yu - tant il me semble improbable que cette forêt de pierres laisse quiconque de marbre.

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Entrée: 175 yuans (35 $). À 85 km et 90 minutes de bus de Kunming, capitale du Yunnan.

Photo Sylvain Sarrazin, La Presse