Cela faisait moins de deux heures que nous marchions dans la jungle. Et, déjà, le poil orange tant convoité brillait sous le soleil au-dessus de nos têtes.

Nous avions rapidement atteint le but de notre expédition de deux jours dans la forêt tropicale de l’île de Sumatra, en Indonésie. Une famille d’orangs-outans, là, juste là, observant les humains au sol au même titre que les humains les observaient, eux, en train de se nourrir ou de jouer entre eux.

On a un mélange d’émotions en posant pour la première fois nos yeux sur ces glorieux primates : une admiration pour ces animaux qui partagent 97 % de nos gènes, et un sentiment d’impuissance face à leur disparition graduelle.

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L’orang-outan de Sumatra est en danger critique d’extinction

Une menace à l’habitat bien visible

L’orang-outan de Sumatra, une des trois seules espèces de ce grand primate, est en danger critique d’extinction. Il est sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) depuis 2000. Déforestation, abattage illégal et construction de routes scindant son territoire sont cités comme autant de facteurs liés à la réduction de sa population dans les dernières décennies.

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Les orangs-outans partagent 97 % de nos gènes.

Quatre d’entre eux se promènent dans la canopée devant nos yeux émerveillés. L’un descend tout bas, tout près, ayant aperçu un savoureux champignon sur l’écorce d’un arbre. Il s’en empare avec son grand bras velu, les badauds à proximité reculent avec surprise et sourires, puis il remonte aussi rapidement. Quelques instants plus tard, nous portons notre attention vers deux amis orangés qui se balancent tranquillement sur des branches. L’un d’eux tient une grosse feuille dans sa main… et s’amuse à chatouiller le popotin de son comparse avec la tige. Son compagnon ne réagissant pas, le petit rigolo finit par laisser tomber son outil. La feuille tombe à une dizaine de mètres de nos pieds.

Nous nous trouvons dans la forêt tropicale du parc national de Gunung Leuser, un écosystème théoriquement protégé par les autorités indonésiennes depuis les années 1990… mais qui, en pratique, souffre encore de l’activité humaine.

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La forêt tropicale du parc national de Gunung Leuser. Cette rivière bordait le campement où nous avons passé la nuit.

Les excursions en quête d’orangs-outans partent du village de Bukit Lawang, à environ trois, quatre heures à l’ouest de Medan, capitale de Sumatra. Et justement, pas besoin de chercher bien loin pour voir ce qui menace autant la biodiversité, ici : les plantations de palmiers à huile, monoculture qui décime la forêt tropicale, s’étendent sur des kilomètres et des kilomètres, et sont bien visibles en route vers notre destination.

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Le village de Bukit Lawang, dans l’île de Sumatra

La raison de notre venue à Bukit Lawang, précisément, n’est pas anodine : un centre de réhabilitation pour orangs-outans a opéré ici de 1973 à 2002, sa mission ayant été considérée comme accomplie cette année-là. C’est pourquoi, aujourd’hui, les orangs-outans qui se retrouvent dans la jungle avoisinante sont soit sauvages, soit semi-sauvages. Cette dernière appellation fait référence aux individus qui ont grandi dans le centre de réhabilitation avant d’être libérés dans la nature. En plus du groupe de quatre orangs-outans sauvages aperçus en début de journée, nous avons eu la chance de voir Kathryn, une femelle bien connue des habitants. Notre guide nous a d’ailleurs appris, au cours d’une petite correspondance quelques semaines plus tard, que Kathryn vient de donner naissance à son premier petit. Compte tenu du fait que les orangs-outans ne se reproduisent que tous les six à huit ans environ, ce qui n’est pas propice à une régénération rapide, il s’agit là d’une excellente nouvelle.

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Les moustiquaires et les matelas composent le campement rudimentaire pour notre nuit au bord de la rivière.

À la merci des éléments

De nombreuses agences proposent des expéditions de une à cinq journées à la recherche de ces animaux charismatiques. Cette activité s’inscrit parmi les principales attractions du nord de Sumatra, la sixième île du monde pour la taille et la plus imposante de l’archipel qu’est l’Indonésie.

Nous avons opté pour une sortie de deux jours et une nuit, en faisant affaire avec Sumatra Orangutan Discovery, une jeune entreprise aux principes éthiques. Peu importe le choix de votre agence, assurez-vous que cette dernière respecte les directives de l’Indonesian Tourist Guides Association (ITGA).

Pour 130 $, tout est inclus : les guides, la nourriture, la nuit en bordure de rivière et le très amusant retour au village en rafting sur tubes. D’ailleurs, notre guide nous a expliqué que cette économie basée sur le tourisme donne des munitions politiques pour encourager la protection de la flore et de la faune dans la région.

Et qui dit « excursion en forêt tropicale » dit « être en proie aux éléments ». J’ai été mordu par deux sangsues – n’ayez crainte, chers lecteurs, je n’ai ressenti aucune douleur, ni pendant ni après. Nous avons aussi été surpris (ou pas) par la pluie à la fin de notre journée de randonnée, ce qui a rendu la descente de la jungle vers la rivière, avec son chemin boueux et glissant, particulièrement difficile. Et rendus à la rivière, pas le choix : on la traverse, les espadrilles et les jambes submergées jusqu’aux mollets. Les guides sont toujours là, mains tendues, pour assurer notre sécurité.

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Un jeune macaque à queue de cochon

Dans un autre contexte, nous nous serions sentis misérables au fil d’arrivée. Mais après la rencontre de six orangs-outans, de deux autres espèces de singes endémiques à la région, et une aventure absolument mémorable, nous ne pouvions nous empêcher de sourire, sales et mouillés de la tête aux pieds, et la banane étirée jusqu’aux oreilles.

  • Sur notre chemin, nous avons croisé de curieux semnopithèques de Thomas (ou Thomas’s leaf monkey)

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    Sur notre chemin, nous avons croisé de curieux semnopithèques de Thomas (ou Thomas’s leaf monkey)

  • Un autre macaque à queue de cochon !

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    Un autre macaque à queue de cochon !

  • Un majestueux argus géant

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    Un majestueux argus géant

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Pas que des gros primates !

Il n’y a pas que des orangs-outans dans le parc national de Leuser. Nous avons croisé la route de deux autres espèces de singes : de curieux semnopithèques de Thomas (ou Thomas’s leaf monkey), ainsi que des macaques à queue de cochon. Un majestueux argus géant s’est promené tranquillement entre les branches et les feuilles qui jonchaient le sol. Nous n’avons pas eu la chance de les voir, mais l’écosystème de Leuser est aussi le seul endroit restant dans le monde où le rhinocéros, le tigre, l’éléphant et l’orang-outan cohabitent. Ce sont tous des animaux en grave danger d’extinction, et leur habitat rétrécit d’année en année.

Conclure son séjour à Sumatra

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Le gigantesque et magnifique lac Toba

Bien que la jungle de Bukit Lawang soit une activité populaire, l’île de Sumatra en soi ne fait pas encore partie des circuits de tourisme de masse, et son affluence ne se compare pas du tout à celle de Bali, par exemple. Ce qui ne veut pas dire que la région n’a rien à offrir, bien au contraire. Après Bukit Lawang, rendez-vous à Berastagi, ville entourée de volcans. Lors de notre ascension du mont Sibayak, ma conjointe et moi étions complètement seuls en bordure du cratère. Dirigez-vous ensuite vers le gigantesque lac Toba, le plus grand lac volcanique au monde. Vous pourrez entre autres y découvrir la vie et la culture batak, apprécier les paysages uniques de l’île de Samosir, ou simplement vous reposer après de longues journées de déplacement. Après Toba, vous pouvez vous rendre à l’ouest de Sumatra, vers Bukittinggi, découvrir la vallée de Harau et ses rizières, le magnifique lac Maninjau, ainsi que le canyon de Taruko. Ou alors, rendez-vous tout au nord de Sumatra, vers la ville côtière de Banda Aceh et l’île de Weh, en face, pour de la plage et des activités nautiques. On le répète : Sumatra est gigantesque, et les déplacements sont longs et tortueux, mais il s’y trouve encore une authenticité – et une gentillesse de sa population – quasi inégalable.

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    Nombre d’orangs-outans de Sumatra en liberté
    Bilan 2017, Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)