Si Frances Tiafoe a battu Rafael Nadal en huitièmes de finale aux Internationaux des États-Unis, c’est parce que chaque coup de raquette signifie quelque chose de grandiose. Comme un passé qui n’avait rien à voir avec l’avenir qui lui est réservé.

Tiafoe a réussi ce qui semblait impossible, lundi, sur le terrain du stade Arthur-Ashe, le plus gros stade de tennis au monde. Il a renvoyé à la maison le tenant de 22 titres majeurs en lui infligeant sa seule défaite de la saison en tournois du Grand Chelem. Il a mis fin à une séquence de 22 victoires.

Selon un adage populaire, le pare-brise d’une voiture est plus gros que le rétroviseur parce qu’il y a plus de choses à voir en avant qu’en arrière. Métaphore suggérant d’oublier le passé et d’avancer, en quelque sorte.

Cependant, lorsque Tiafoe regarde dans son rétroviseur, il voit ses parents qui ont immigré de la Sierra Leone deux ans avant sa naissance pour fuir la guerre civile. Il voit aussi Arthur Ashe, qui est le seul joueur noir à avoir gagné les Internationaux des États-Unis, d’Australie et le tournoi de Wimbledon.

L’espoir d’une famille

Frances Sr est arrivé aux États-Unis en 1993, après avoir fait un détour par la Grande-Bretagne en 1988, parce que son pays était à feu et à sang. Sa femme, Alphina, est venue le rejoindre en 1996. Ils se sont établis au Maryland et ont mis au monde Frances Jr et Franklin, des jumeaux, en janvier 1998.

C’est à 3 ans qu’ils ont commencé à jouer au tennis au club où leur père travaillait. Il était concierge et préposé à l’entretien. Pendant ce temps, leur mère, infirmière, cumulait deux boulots pour faire croire aux deux héritiers qu’ils ne manquaient de rien, alors qu’en réalité, il était difficile de joindre les deux bouts. Les deux frères allaient avoir besoin de se nourrir d’espoir et d’ambition pour sortir du lot.

Voyant que les deux gamins avaient des habiletés athlétiques, leur père leur a fait comprendre très tôt que s’ils voulaient espérer un jour aller à l’université ou avoir de bons boulots, ils allaient devoir réussir à percer dans le monde du sport.

Frances Jr a saisi le message au pied de la lettre et s’est débrouillé pour que sa famille ne manque plus jamais de rien.

Un espoir de premier plan

Frances Tiafoe est parvenu à tirer son épingle du jeu, si bien qu’il s’est fait remarquer assez tôt. Chez les juniors, il a atteint le deuxième rang mondial. Peu de temps après son arrivée chez les professionnels, il a gagné son premier titre, à 20 ans, à Delray Beach. Tiafoe était alors le plus beau projet du tennis américain.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Frances Tiafoe

Son ascension a été quelque peu ralentie par l’émergence de plusieurs jeunes joueurs de talent. Néanmoins, à 24 ans, Tiafoe est 26e au classement mondial et il a même atteint un sommet personnel au cours des dernières semaines en grimpant jusqu’au 24e rang.

La plus grande qualité technique de l’Américain est certainement son coup droit. Très à plat, il est capable d’aller chercher des angles spectaculaires avec un simple coup de poignet.

Cependant, ce qui fait en grande partie le succès de Tiafoe est son athlétisme. Il est l’un des joueurs les plus en forme du circuit et, contrairement à ses rivaux, il n’a pas la carrure typique d’un joueur de tennis. S’il avait voulu, il aurait pu devenir un joueur de la NFL, de la NBA ou de la MLB. D’ailleurs, le droitier a une meilleure fiche en carrière lors de matchs trois de cinq que lors des matchs deux de trois.

Passer le flambeau

En 2020, Tiafoe a été le lauréat du trophée humanitaire Arthur-Ashe, remis annuellement par l’ATP à une personnalité qui s’est démarquée par son implication dans la communauté. Il avait alors 22 ans.

« Je sais que je dois porter le flambeau et faire une différence dans ce monde », avait-il écrit dans une lettre destinée à M. Ashe et publiée sur le site de l’ATP.

En 2020, Tiafoe avait mis sur pied l’initiative « Racquets Down, Hands Up », pour mettre en lumière les inégalités et la mort « injuste » de jeunes enfants afro-américains aux États-Unis. Il avait alors reçu le soutien de Serena Williams, Gaël Monfils et Jo-Wilfried Tsonga, notamment.

Tiafoe sert une cause qui le dépasse, mais qui fait de lui un modèle pour les enfants noirs qui n’existait à peu près pas sur le circuit de l’ATP.

S’il est porté aujourd’hui à s’impliquer, c’est grâce à Arthur Ashe. Cette victoire contre le plus grand champion de l’histoire avait donc une valeur ajoutée, puisqu’elle a été remportée sur le terrain nommé en l’honneur de cette légende.