À l’âge de 41 ans, Brent Lakatos, originaire de Dorval, se hisse tranquillement parmi les athlètes les plus médaillés au Canada. Maintenant à sa cinquième participation en para-athlétisme aux Jeux paralympiques, il peine à cacher sa joie.

« Je suis plus prêt que jamais. J’aime vraiment la course, donc j’ai hâte », a-t-il confié à La Presse plus tôt cette semaine en visioconférence.

Le coureur en fauteuil roulant – qui cumule des médailles au plus haut niveau de compétition – arbore un maillot rouge avec le drapeau du Canada au cœur de l’écran.

Durant l’appel, Lakatos fait preuve d’une grande sérénité. Son mantra : rester soi-même, peu importent les attentes de la société. C’est à l’âge de 6 ans que sa vie a basculé en raison d’un accident survenu sur la glace. Il patinait et d’un coup, il a fait une chute et est tombé sur le dos. Dévastateur, l’impact du renversement a causé une accumulation de sang dans son dos qui, à petit feu, écrasait sa colonne vertébrale. Puisque l’imagerie par résonance magnétique n’existait pas encore, les médecins ne pouvaient indiquer la source du problème.

« Il fallait qu’ils interviennent, sinon j’allais mourir », explique-t-il.

À la suite d’une intervention exploratoire, les spécialistes ont repéré la lésion, évacué le sang et stabilisé la paralysie. Malgré ce traumatisme, Lakatos ne s’apitoie pas sur son sort. Il s’estime chanceux d’avoir été un enfant au moment du choc. « Quand on a 6 ans, on s’adapte à n’importe quelle situation. Les enfants, dans toute leur candeur, ont une meilleure faculté d’adaptation que les adultes », raisonne-t-il.

Serein, Lakatos ne voit pas sa chute d’un mauvais œil. Sans cet accident, il n’aurait jamais rencontré sa femme, il ne serait pas aujourd’hui à Tokyo ni en train d’accorder cette entrevue à La Presse.

L’athlète brille de succès. Il a notamment remporté sept médailles en para-athlétisme aux Jeux paralympiques – dont une médaille d’or pour la course T53 de 100 mètres en 2016 au Brésil – et 17 médailles aux Championnats du monde, dont 12 médailles d’or. En octobre 2020, il a remporté le marathon de Londres en 1 h 36 min 4 s, le premier Canadien à décrocher l’or en 10 ans depuis Josh Guelph. Devant ces nombreux exploits, Lakatos demeure humble. Il rappelle ses débuts, où il perfectionnait ses lancers au basketball à Montréal.

PHOTO JOHN SIBLEY, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

En octobre 2020, Brent Lakatos a remporté le marathon en fauteuil roulant de Londres.

« Je me suis d’abord lancé dans le basket en fauteuil roulant. J’adorais le basket. J’y ai joué pendant longtemps. »

Dans le sillage d’André Viger

Du haut de ses 12 ans, Lakatos se procure un fauteuil à la Maison André Viger – ancien champion du monde de course en fauteuil roulant. En raison d’un cancer du système rénal, Viger s’est éteint en 2006 à l’âge de 54 ans. Mais bien avant de disparaître, il avait recruté Lakatos pour la course en fauteuil roulant.

« [André] était génial. Il m’effrayait, j’étais un gamin. Je montais sur mon fauteuil de basket, et il y avait André Viger, [avec] des muscles et une voix grave. Il me faisait peur, mais c’était un type vraiment sympa. »

À 16 ans, il quitte le pays et poursuit ses études en génie à l’Université du Texas à Arlington, où il jongle avec le basketball et la course en fauteuil roulant. Il traçait son chemin.

Je voulais faire partie de l’équipe nationale [de basketball]. Je voulais aller aux Jeux paralympiques et représenter le Canada, c’était mon rêve.

Brent Lakatos

Ce rêve a été court-circuité en 2003 lorsqu’il a gagné la course de 100 m aux Jeux d’hiver du Canada. Il lâche alors le basketball pour se concentrer sur la course en fauteuil roulant.

Depuis ce jour, il ne cesse d’accumuler des prix.

« Je ne suis pas plus lent, je suis plus rapide »

Prêt, jusqu’au bout des doigts

Afin de relever le défi à Tokyo – où il participera aux six différentes distances, soient les 100 m, 200 m, 400 m, 800 m, 1500 m et 5000 m –, Lakatos mentionne un ajustement important.

« J’ai fait quelques changements depuis les derniers jeux. Dans les gants en particulier. Et cela a fait une énorme différence pour moi. »

PHOTO DAVE HOLLAND, FOURNIE PAR LE COMITÉ PARALYMPIQUE CANADIEN

Brent Lakatos

En para-athlétisme, la qualité des gants joue un rôle décisif dans la performance des athlètes. Ils sont faits en trois formes imprimées et adaptés sur mesure. Sur la surface à l’extérieur des doigts ainsi que sur le bord de la main, il y a du caoutchouc. La friction entre les deux caoutchoucs engendre le mouvement du fauteuil. Cependant, en cas de pluie, Lakatos confirme que ce n’est pas évident.

« Il faut trouver une solution pour la pluie afin que le moment de contact entre le gant et la jante soit parfait et qu’il ne glisse pas.

« S’il glisse, votre bras s’envolera parce qu’il y a une pression excessive qui passe à travers la jante. La roue tourne en même temps, donc ça vous fera déraper. Tu ne poses pas vraiment le caoutchouc sur la jante en douceur, tu descends du plus haut que tu peux et tu la cognes », explique-t-il.

Pour les courses de 100 m, 400 m et 800 m, Lakatos fera ses preuves dans la catégorie T53. Elle représente le groupe d’athlètes ayant très peu ou aucune mobilité au niveau du bassin. Quant à la catégorie T54, dans laquelle il tentera de remporter le 1500 m et le 5000 m, les athlètes disposent d’une mobilité normale ou limitée du bassin et aucune fonction des jambes.

C’est plus un défi [dans la catégorie T54] parce que le champ est plus large. De plus, les deux catégories sont confondues. Les T54 en général, ils sont plus rapides, ils ont plus de muscles, de mobilité, donc c’est plus un défi de gagner ou d’être dans le coup lors de ces courses.

Brent Lakatos

À l’heure actuelle, Lakatos s’étonne encore du fait que les Jeux auront bel et bien lieu. La pandémie lui avait enlevé tous ses espoirs.

« Ça fait 18 mois que je ne sais pas à quoi m’attendre, je suis encore un peu réticent. Ça ne semble toujours pas réel. »

Mais il maintient que plus le temps passe, plus il gagne en performance. Il n’écarte pas l’idée de participer aux Jeux paralympiques de Paris en 2024.

« Je m’améliore chaque année, même si je suis un vieil athlète. Je ne régresse pas, je suis de plus en plus rapide. »

Un fauteuil pas comme les autres

Débrouillard, M. Lakatos utilisera pour la première fois un fauteuil roulant qu’il a conçu avec l’aide d’un designer. Durant le processus de fabrication, l’ingénieur s’est occupé de trouver les bonnes mesures, de trouver la meilleure approche aérodynamique et tout ce dont il avait besoin pour optimiser l’efficacité du fauteuil.

Le designer, aussi un expert en fibre de carbone, quant à lui, s’est servi de ses compétences en informatique pour établir les formes, la rigidité, la masse et présenter le tout au manufacturier.

En ce qui concerne l’aérodynamisme, Lakatos explique que l’objectif est d’être le plus petit possible. À cette fin, durant les compétitions, les athlètes ne pousseront pas dans le vent. Et bien souvent, leurs jambes pendent sous le bassin. Donc, pour les monter le plus haut possible, Lakatos explique sa solution.

« J’ai comme un appareil de torture, mais c’est pour les ballerines. Ça leur permet de mieux pointer leurs orteils. Et donc, j’ai utilisé ça pour pointer les miens afin qu’ils soient le plus haut possible, hors du vent.

« Je suis vraiment content du résultat », conclut-il.