Après une seule saison au niveau universitaire, Luguentz Dort participera au repêchage de la NBA, ce soir à Brooklyn, avec une possible sélection à la fin du premier tour. Le joueur originaire de Montréal-Nord espère que son histoire saura inspirer d’autres jeunes Québécois à persévérer malgré les obstacles. Portrait du jeune homme de 20 ans.

Dort sera-t-il choisi en première ronde?

PHOTO KIM RAFF, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le Montréalais a reçu le titre de recrue de l’année de sa conférence (Pac-12).

Le grand jour est arrivé pour Luguentz Dort. Dans un repêchage à forte saveur canadienne, le Montréalais sera finalement fixé sur son avenir. Au Barclays Center de Brooklyn, dès 19 h, le joueur de 20 ans saura où il démarrera sa carrière dans la NBA et s’il le fera en tant que choix de premier tour, comme le projettent certains sites spécialisés. Dans tous les cas, c’est avec beaucoup de fierté qu’il anticipe cette étape cruciale.

« Atteindre la NBA, ça représente beaucoup. C’est vraiment top que le monde entende mon histoire, d’où je viens et comment j’ai commencé le basket. J’espère que ça va inspirer beaucoup de jeunes parce que ce n’est pas facile d’habiter au Québec, d’aller aux États-Unis, de se rendre à l’université, puis dans la NBA. En grandissant, je n’avais pas vraiment de [Québécois] à regarder dans la NBA. Ça va être un honneur que les jeunes Montréalais puissent me voir. Que j’y arrive, ça montre que d’autres peuvent le faire », a raconté le jeune homme il y a quelques semaines.

Originaire de Montréal-Nord, le meneur de jeu de 6 pi 4 po et 222 lb a décidé de participer au repêchage après une seule saison (« one-and-done ») avec l’Université d’Arizona State (ASU). Dès l’annonce de sa décision, au mois d’avril, certains ont applaudi tandis que d’autres se sont demandé s’il n’aurait pas dû rester une saison supplémentaire au niveau universitaire.

J’en ai parlé à tous mes coachs de Montréal, à ceux d’ASU, à mes parents, à ma famille, et ils m’ont tous vraiment aidé dans ma réflexion. À la fin, c’est moi qui devais prendre la décision. Le fait que j’ai été classé recrue de l’année, c’est quelque chose qui m’a fait dire : “OK, je devrais y aller.”

Luguentz Dort

Outre cette reconnaissance, Dort a été choisi dans la deuxième équipe de la division Pac-12, ainsi que dans l’équipe défensive. En moyenne, il a inscrit 16,4 points, attrapé 4,5 rebonds et réalisé 2,6 passes décisives par match. Avec 21 points contre St. Johns, il a aussi permis à son équipe de remporter une première victoire dans le tournoi de la NCAA depuis 2009.

« Je trouve que j’ai fait une très bonne job, mais j’aurais pu faire un petit peu mieux. Tout le monde peut toujours faire mieux. Je suis vraiment fier de ma saison. En arrivant, personne ne s’attendait à un tel impact de ma part. Je voulais surprendre les gens en étant un one-and-done. »

PHOTO TROY TAORMINA, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Le joueur étoile des Rockets de Houston James Harden a défendu les couleurs de l’Université d’Arizona State entre 2007 et 2009.

Arizona State ne fait pas partie des universités les plus réputées, même si un certain James Harden, des Rockets de Houston, est passé par là entre 2007 et 2009. Dort avait notamment le choix d’aller à Michigan State ou à Baylor, mais il a accroché au discours de l’entraîneur Bobby Hurley, qui oscillait entre la franchise et la confiance.

Au fil de la saison, le Montréalais pense avoir progressé à pas de géant et, notamment, sur le plan de ses prises de décision. « Quand passer la balle, quand prendre un bon tir ou quand calmer le match en appelant un certain jeu », détaille-t-il.

« Il ne joue pas comme un gars de première année, a expliqué son coéquipier Rob Edward en milieu de saison. Et il n’est certainement pas bâti comme un gars de première année. »

Les différents rapports le décrivent en effet comme un joueur puissant et explosif doté de belles capacités athlétiques. Il est aussi grandement vanté pour son jeu défensif. Dans la colonne des moins, on trouve son manque de constance aux tirs, particulièrement à trois points, où la ligne est plus rapprochée qu’en NBA. Il a cependant passé des heures à travailler cet aspect-là avec un entraîneur privé.

Alors ce profil lui permettra-t-il d’être choisi au premier tour ?

Les principaux sites sportifs américains le placent entre la 24e et la 47e position. ESPN, CBS Sports et USA Today le voient ainsi au premier tour, contrairement à Sports Illustrated, NBC Sports, NBA TV, The Bleacher Report ou The Athletic.

La différence entre une sélection au premier ou au deuxième tour est avant tout financière. Une grille salariale est ainsi en vigueur pour les choix de premier tour. Entre les 25e et 30e places, soit la fourchette où l’on pourrait retrouver Dort, les joueurs touchent entre 1 et 1,7 million US. Ils disposent également d’un contrat garanti de deux saisons assorti de deux années en option. Au deuxième tour, les équipes peuvent offrir le montant et le nombre d’années qu’elles désirent.

Un bon contingent canadien

Une nouvelle fois, le repêchage sera l’occasion de constater la progression du basketball au Canada. RJ Barrett, coéquipier de Williamson à Duke, devrait être choisi au deuxième ou au troisième rang. Un peu plus loin, au milieu du premier tour, on pourrait aussi retrouver Brandon Clarke, natif de Vancouver, ou l’Ontarien Nickeil Alexander-Walker. Finalement, Mfiondu Kabengele et Dort pourraient entendre leur nom en fin de tour.

À moins d’une énormissime surprise, l’ailier fort de Duke, Zion Williamson, sera choisi au premier rang par les Pelicans de La Nouvelle-Orléans. Il prendra la succession d’Anthony Davis, tout juste échangé aux Lakers de Los Angeles.

Des terrains de soccer aux terrains de basket

PHOTO DARRYL WEBB, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Originaire de Montréal-Nord, Luguentz Dort espère devenir un modèle pour d’autres jeunes basketteurs de la métropole qui rêvent d’atteindre la NBA. 

Avant Luguentz Dort le joueur de basketball, il y a eu Luguentz Dort le… gardien de soccer. Le jeune homme nous ramène dans les parcs du nord de Montréal, à la fin de la dernière décennie.

« Pendant les matchs ou les pratiques, je tournais des fois la tête pour voir qui était sur le terrain de basket. Après les entraînements, j’y allais parfois et je commençais à jouer avec mes souliers et mon équipement de soccer. »

À l’âge de 11 ans, Dort fait son choix. Il passe de plus en plus de temps à enchaîner les paniers et les dribbles avec ses amis. Il demande alors à sa mère de l’inscrire dans un club de basketball. Le talent est là, mais encore faut-il que le jeune homme le réalise et qu’il y mette tous les efforts.

Nelson Ossé, qu’il rencontre à Parc-Extension, devient une sorte de mentor, un guide lui permettant de se rendre et de rester sur le bon chemin. « À ma deuxième année avec les benjamins, Nelson est venu nous coacher. J’avais peur de lui au début parce qu’il était vraiment dur avec les jeunes. À cet âge-là, je n’étais vraiment pas discipliné, j’arrivais en retard aux pratiques et je ne jouais pas à mon plein potentiel. Il m’a poussé autant dans le basket qu’à l’école, où je n’avais vraiment pas de bonnes notes. »

Aujourd’hui, je suis fier d’être resté à l’école. Si les jeunes veulent aller jouer aux États-Unis, ils doivent avoir de bonnes notes. C’est quelque chose qui va les aider dans la vie.

Luguentz Dort

Pour parvenir aux sommets, Dort a dû s’exiler au cours de l’école secondaire. Il y a d’abord eu les États-Unis, où il a pu baigner dans la culture du basketball pendant deux ans à Jacksonville et à Orlando. « Je suis un Canadien qui, au début, ne parlait pas anglais. J’étais un peu dans mon coin. Pas beaucoup de monde venait me parler jusqu’à ce qu’ils me voient jouer, se rappelle-t-il. Ils ont aimé mon jeu. Il y en a qui disent que les Canadiens sont softs. Ce n’est pas vrai. Chaque fois que j’entendais ça, ça me donnait plus de motivation pour prouver qu’on est vraiment tough. »

En septembre 2017, Dort entreprend la dernière année de son école secondaire en se joignant à l’Athlete Institute à Toronto. À ce moment-là, l’intérêt des recruteurs universitaires est déjà fort, puisqu’il avait remporté le titre de joueur du match des Étoiles Biosteel réunissant les meilleurs Canadiens de moins de 21 ans.

« Quand j’ai choisi Toronto, je savais que j’allais aller aux États-Unis à l’université. Je savais que je n’aurais pas beaucoup le temps de voir ma famille et mes amis, dit-il. Quand on n’avait pas de matchs certaines fins de semaine, je revenais à Montréal. Toronto, ç’a vraiment été une bonne période. J’avais de bons coachs, des bons coéquipiers et l’école était bonne. »

Et la NBA ? Ce n’est qu’à 18 ans qu’il a commencé à penser que « c’était possible » de s’y rendre. Son ressenti a vite été confirmé par les évaluations de sites comme Rivals, 247sports ou ESPN, qui lui ont accordé une cote de quatre ou cinq étoiles.

«Ç’a toujours été son rêve»

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, LA PRESSE

Nelson Ossé, coordonnateur du programme des Knights de Parc-Extension, a joué un rôle central dans le parcours de Luguentz Dort.

Nelson Ossé sera au Barclays Center, ce soir, pour assister au repêchage de la NBA. Il ne pouvait pas en être autrement tant l’homme, coordonnateur du programme des Knights de Parc-Extension, a joué un rôle central dans le parcours de Luguentz Dort. « On se parle tous les jours », confirme d’ailleurs Ossé, qui connaît le jeune homme depuis ses 11 ans.

Comment l’avez-vous senti au cours des derniers jours?

Il n’a pas de stress en particulier [par rapport au repêchage]. Il est plus excité qu’autre chose. Il apprécie le moment, il pose des questions et il est prêt mentalement pour ce processus. C’est ce qu’il a toujours voulu et ç’a toujours été son rêve.

Quel était le plan lorsqu’il est parti jouer avec l’Université d’Arizona State l’an dernier?

Il n’y avait aucun plan. Le plan était qu’il profite de toutes les occasions sur le terrain et dans ses études. On savait qu’il avait du talent et qu’il pouvait faire de grandes choses, mais le succès qu’il a eu cette année est formidable. On ne savait pas nécessairement qu’il pourrait être un one-and-done.

Quelles améliorations avez-vous constatées dans son jeu? Il a parlé de ses prises de décision.

À la fin de la saison, son lancer était un petit peu plus constant. J’ai toujours été très critique à son égard, mais j’ai vu une amélioration dans quasiment tous les aspects. Le jeu est très différent entre le secondaire et l’université. J’ai vu plus de maturité et de meilleures prises de décision de sa part.

Certains rapports ont mis de l’avant son inconstance en ce qui concerne les tirs, notamment de trois points, cette saison. Qu’en est-il vraiment?

Ils font des projections au niveau de la NBA parce que la ligne [de trois points] est un petit peu plus loin. Mais ils ne savent pas que c’est ce qui fait carburer Luguentz. Quand on doute de lui, c’est comme lui donner un petit peu d’essence dans son réservoir. C’est ce qu’il aime. Dernièrement, les recruteurs ont remarqué qu’il y avait plus de constance dans son lancer. Il a passé des heures à le perfectionner dans le gymnase.

Certaines projections placent Luguentz à la fin de la première ronde alors que d’autres repêchages simulés le positionnent en deuxième ronde. Croyez-vous à une sélection en première ronde ?

Oui, c’est très faisable. Il a fait des entraînements avec 12 équipes de la NBA dans les deux dernières semaines. On parle d’équipes qui vont choisir entre le 18e et le 30rang.

Vous l’avez connu quand il avait tout juste 11 ans. Quelles sont les premières images que vous conservez de lui?

Il a toujours été physiquement imposant et extrêmement compétitif. C’est un jeune qui voulait apprendre. Par contre, il ne savait pas nécessairement à quel point il pourrait être bon s’il arrivait à faire le mélange entre l’école et le sport en même temps. Sa plus grande qualité, c’est qu’il est arrivé à faire les deux en même temps. Son talent au basket a aidé, mais ce n’est pas ça qui a fait en sorte qu’il ait une bourse à l’université. C’est une inspiration pour bien des jeunes.

Quel impact aurait une sélection en première ronde sur les jeunes joueurs de basket montréalais?

Il y a Luguentz, mais il y a aussi ce qui se passe en ce moment avec les Raptors de Toronto. C’est tout un mélange pour les jeunes Montréalais qui ont un rêve. Il n’y a pas une énorme différence entre un jeune de 17 ans et un autre de 19-20 ans [comme Luguentz]. Ceux qui l’ont côtoyé comprennent que ce rêve-là peut devenir réalité si on s’accroche aux études. Luguentz est quelqu’un qui aime sa ville, qui parle toujours de Montréal, du Québec et du Canada. Il y a une fierté.