Coincé entre une crise économique qui n’en finit pas et la perspective d’une guerre à sa frontière avec Israël, le Liban s’apprête une fois de plus à passer des fêtes de fin d’année sous le signe de l’incertitude.

Ils ne sont qu’une vingtaine de supporters réunis sur la place des Martyrs, au pied de la statue éponyme, en cette matinée nuageuse. Les drapeaux palestiniens côtoient les pancartes appelant au cessez-le-feu ou à la libération de la Palestine et les keffiehs noirs et blancs.

  • Le sapin de Noël de la place Sassine à Beyrouth, décoré du mot « Hope » par l’ONG Lebanon of Tomorrow

    PHOTO HUGO LAUTISSIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le sapin de Noël de la place Sassine à Beyrouth, décoré du mot « Hope » par l’ONG Lebanon of Tomorrow

  • Karl Gharios livrant un repas à un résidant âgé du quartier d’Ein el Remeineh

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    Karl Gharios livrant un repas à un résidant âgé du quartier d’Ein el Remeineh

  • Une personne âgée et malade reçoit un repas chaud. La cherté des médicaments est devenue un véritable enjeu au Liban.

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    Une personne âgée et malade reçoit un repas chaud. La cherté des médicaments est devenue un véritable enjeu au Liban.

  • Chaque jour, l’association Teta w Jeddo livre des repas à une cinquantaine de personnes âgées du quartier d’Ein el Remeineh.

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    Chaque jour, l’association Teta w Jeddo livre des repas à une cinquantaine de personnes âgées du quartier d’Ein el Remeineh.

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En ce lundi, le Liban observe une grève « en solidarité avec les Palestiniens » : les administrations publiques, les banques, les établissements scolaires publics et privés sont fermés. Mais la manifestation a un arrière-goût d’inachevé. « On n’est pas nombreux aujourd’hui, regrette Lamia, l’une des participantes. Il faut croire que les gens ont mieux à faire ou bien qu’ils se sont habitués à cette situation », analyse-t-elle, perplexe, avant de reprendre un chant anti-impérialiste dont elle suit les paroles sur son téléphone.

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Manifestation en appui à la Palestine en plein cœur du centre-ville de Beyrouth

Depuis le 8 octobre, au lendemain de l’attaque surprise du Hamas en Israël, les bombardements de chaque côté de la frontière ont fait environ 110 morts, en majorité parmi les rangs du Hezbollah ainsi que 17 civils, dont trois journalistes. De l’autre côté de la frontière, six soldats israéliens et quatre civils ont été tués, d’après un décompte de l’Agence France-Presse.

Un marché pour s’en sortir

Dans ce pays qui a connu plusieurs guerres avec Israël, dont la plus récente remonte à 2006, les combats à la frontière réveillent de douloureux souvenirs. Mais dans la capitale, épargnée jusqu’à maintenant, on s’est habitué à vivre dans l’incertitude.

Sur la place Sassine, dans le quartier chrétien d’Achrafieh, l’ONG Lebanon of Tomorrow organise pour la quatrième année consécutive un marché de Noël. Le sapin qui trône sur la place a été décoré avec des lettres lumineuses formant le mot « Hope ». Un message de circonstance.

« On a créé ce marché pour aider les petits commerçants qui ont été touchés par la crise économique à partir de 2019. On leur offre un stand gratuitement avec un roulement tous les trois jours », explique Joanne Geadah, chargée de communication au sein de l’ONG. « J’ai l’impression que le pouvoir d’achat s’est amélioré depuis cette année. Les commerçants sont satisfaits en tout cas, il y a plus de ventes. »

Mais l’effervescence du marché de Noël, dopée par la clientèle aisée des quartiers environnants, est trompeuse.

Il suffit d’énumérer les autres activités de l’ONG pour comprendre qu’elles sont celles d’un pays du tiers-monde : distribution de serviettes hygiéniques dans les hôpitaux, de repas gratuits ou de matériel scolaire pour les familles nécessiteuses. « Si tu demandes aux gens, ils te diront que désormais, chaque année, Noël est pire que le précédent », résume tristement Chantal, 43 ans, dans un bar animé de la capitale.

« Avant la crise, tout le monde s’offrait des cadeaux et rendait visite à sa famille aux quatre coins du pays. Aujourd’hui, il y a deux Noëls : celui des riches qui font leurs courses au centre commercial de luxe Aïshti, comme à Paris ou à Londres, et les autres qui n’ont même pas les moyens d’offrir un cadeau à leurs enfants ou de payer l’essence pour célébrer Noël en famille », ajoute cette Libanaise qui s’estime chanceuse d’être dans un entre-deux. « La pauvreté est partout, mais assez bizarrement on ne la voit pas tant que ça. Les gens souffrent en silence, à l’abri du regard des autres. »

Une crise qui a tout changé

À Ein el Remeineh, un autre quartier chrétien de l’est de la capitale, Wahdi Gharios et son fils Karl s’apprêtent à entamer leur tournée quotidienne. À l’arrière de l’utilitaire, 52 plats chauds qui seront distribués aux personnes âgées dans le besoin du quartier. « C’est simple, si nous ne venons pas, ils ne mangent pas », résume Wahdi, qui est né et a grandi à Ein el Remeineh et connaît chacun des bénéficiaires personnellement. C’est dans ce quartier qu’une autre guerre, la guerre du Liban de 1975 à 1990, a commencé, quand une milice chrétienne a pris pour cible un car de militants palestiniens de retour d’un rassemblement politique, tuant 26 personnes.

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Wahdi Gharios récupère les plats chauds avant de les distribuer à des personnes âgées dans le quartier d’Ein el Remmaneh.

Aujourd’hui, c’est un quartier calme qui survit tant bien que mal à la crise économique et regarde ce qui se passe dans le sud du pays de loin. Dans le petit local de l’association Teta w Jeddo, rempli de cartons de denrées alimentaires, on fait l’inventaire de ce qu’on a, mais surtout de ce dont on manque.

« On a commencé à aider les personnes âgées après l’explosion du port de Beyrouth avec de l’aide alimentaire et en participant aussi à la reconstruction de leurs appartements. Après ça, on s’est dit qu’on ne pouvait pas les laisser. Ce sont des gens très isolés et qui n’ont rien. La majorité d’entre eux n’auraient aucune interaction sociale si nous n’étions pas là », explique Stéphanie Ajami, qui gère la communication de l’association. Teta w Jeddo aide quotidiennement 52 personnes âgées, à qui elle livre des repas chauds tous les jours, et 150 autres encore assez autonomes pour cuisiner, à qui l’association livre des paniers chaque semaine.

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Stéphanie Ajami travaille pour l’association Teta w Jeddo, qui vient en aide aux personnes âgées dans le besoin.

On aide les gens jusqu’à leur mort. Si on décide de prendre en charge quelqu’un, c’est jusqu’au bout. Donc avec notre budget restreint, on choisit les gens les plus démunis.

Stéphanie Ajami, de l’association Teta w Jeddo

« La crise économique a tout changé. Ceux qui étaient déjà pauvres le sont restés et ceux qui avaient quelques maigres économies à la banque ont tout perdu », ajoute Stéphanie, en tirant sur sa cigarette électronique.

L’année dernière, Stéphanie et Wahdi ont organisé un repas de Noël avec tous les bénéficiaires.

« C’était un grand moment pour eux. À leurs âges, les occasions de se réunir sont rares. Même si ça demande beaucoup de travail d’organisation, car il faut emmener chacun d’entre eux en voiture, le jeu en valait la chandelle », sourit tristement Stéphanie. Cette année, le budget est encore plus serré que d’habitude. Il n’y aura pas de repas de Noël.