(Jérusalem) Privé de son permis de travail sur le sol israélien depuis le début de la guerre entre Israël et le mouvement islamiste Hamas à Gaza, Ibrahim al-Qiq, un Palestinien de 37 ans vivant en Cisjordanie occupée, s’enfonce dans les dettes et le désespoir.

Territoire occupé depuis 1967 par Israël, la Cisjordanie est séparée du sol israélien par un mur et ses trois millions d’habitants ne peuvent pas s’y rendre sans un permis.

Après l’attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre, au cours de laquelle 1200 personnes, en majorité des civils, ont été tuées, selon les autorités, l’État israélien a invalidé de nombreuses autorisations permettant aux Palestiniens de Cisjordanie de travailler dans le pays.

Comme beaucoup de compagnons d’infortune, M. Qiq travaillait en tant qu’ouvrier du bâtiment en Israël et gagnait environ 6000 shekels (près de 2200 dollars canadiens) par mois.

« Tout ce que nous avions gagné [dans le passé], nous l’avons dépensé », raconte-t-il, déplorant ne plus avoir d’économies. Désormais au chômage, « nos dettes s’accumulent alors que nous avons besoin d’acheter de quoi manger, [payer] le loyer, l’eau et l’électricité ».

Livrés à eux-mêmes

Après avoir perdu son permis de travail, le père de famille a emprunté 7000 shekels (2500 dollars canadiens) pour payer ses factures, mais il ignore comment il pourra les rembourser.

À Kharas, une bourgade des montagnes près d’Hébron (sud), où il vit, 70 % des habitants franchissaient chaque jour les barrages israéliens selon la municipalité.

PHOTO JOHN MACDOUGALL, AGENCE FRANCE-PRESSE

Des appartements résidentiels inachevés sont visibles près de la ville de Kharas, au nord d'Hébron, dans la Cisjordanie occupée par Israël.

Les autres sont pour la plupart employés par l’Autorité palestinienne, qui siège à Ramallah. Mais celle-ci peine à verser les salaires, dans un contexte de récession où la production économique s’est effondrée de plus d’un tiers au cours du mois qui a suivi le début de la guerre.

Israël a retiré 130 000 permis de travail à des Palestiniens de Cisjordanie et n’a pas versé 600 millions de shekels (220 millions de dollars canadiens) de taxes dues sur les produits palestiniens, affirme Manal Qarhan, fonctionnaire au ministère palestinien de l’Économie.

Selon elle, l’administration perd désormais 32 millions de dollars canadiens par jour, notamment à cause de cette déperdition de taxes, mais aussi parce que les Palestiniens vivant en Israël ne viennent plus consommer en Cisjordanie, notamment à cause du renforcement des contrôles par Israël.

Environ 130 points de contrôle militaires, permanents et mobiles ont été mis en place en Cisjordanie, selon le ministère.

Sans indemnité de chômage ni de la part du gouvernement israélien ni de l’Autorité palestinienne, les travailleurs palestiniens, livrés à eux-mêmes, tentent de trouver des solutions.

« On stresse »

« Ceux dont les femmes avaient des bijoux en or les ont vendus pour nourrir leurs enfants », raconte Tarek al-Hlahla, un autre de ces ouvriers au chômage, disant avoir la charge d’une famille de dix personnes.

Jamil Siaara, qui travaille habituellement dans le bâtiment, n’a pas d’épargne et se fait un sang d’encre : « On ne sait pas ce qui va se passer, on stresse ».

En représailles à l’attaque du 7 octobre, Israël a juré d’« anéantir » le Hamas et sa réponse militaire a fait plus de 18 400 morts, principalement des femmes et des moins de 18 ans, selon le ministère de la Santé dirigé par le Hamas.

Bien que le conflit ait lieu dans la bande de Gaza, qui est séparée de la Cisjordanie par Israël, la guerre a aussi des conséquences sur le territoire palestinien occupé.

L’économie palestinienne devrait finir l’année en repli de 3,7 %, selon un rapport publié mardi par la Banque mondiale.

Le propriétaire du supermarché de Kharas, Ahmed Radwan, explique que ses ventes ont chuté de 70 %, car il vendait de l’alimentaire à crédit. Il a dû arrêter, constatant l’endettement de ses clients.

Sur six employés, trois ont été licenciés et deux autres doivent partir en décembre.

« Il n’y a plus d’espoir », se désole-t-il alors que le climat général se détériore à chaque flambée de violence ou opération de l’armée israélienne dans les camps de réfugiés et dans les villes.

Les points de contrôle israéliens « obligent les Palestiniens à emprunter des routes secondaires peu praticables, extrêmement dangereuses, car elles les exposent aux attaques des colons », explique notamment le ministère palestinien de l’Économie.

En Cisjordanie, environ 270 personnes ont été tuées par l’armée israélienne et les attaques des colons depuis le 7 octobre, selon l’Autorité palestinienne.

Au café comme au marché, chacun évoque la traduction de cette crise dans son quotidien sans oublier que si certains ont perdu un emploi, d’autres ont perdu la vie.