(Paris) La multiplication des attaques houthies en mer Rouge fait monter dangereusement la tension dans cette zone cruciale pour le commerce maritime international et alimente les craintes du dérapage incontrôlé et d’embrasement régional.

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas palestinien à Gaza, les rebelles houthis yéménites, qui ont menacé de s’en prendre à tout navire se dirigeant vers Israël ou ayant un lien avec ce pays, multiplient les opérations de plus en plus audacieuses.

Attaques de drones – l’une des dernières en date, ce week-end a visé une frégate française –, assaut d’un navire marchand par hélicoptère le mois dernier, tir de missile contre un pétrolier norvégien lundi… Au total, une dizaine d’attaques menées au nom de la cause palestinienne par les rebelles houthis, membres de l’« axe de la résistance » contre Israël, incluant l’Iran, le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien.

La mer Rouge est surveillée comme le lait sur le feu par la communauté internationale depuis des années : cette « autoroute de la mer » reliant la Méditerranée à l’océan Indien, sur laquelle circulent chaque année quelque 20 000 navires, est une zone géopolitique et commerciale majeure.

Quelque 40 % du commerce international transite par le détroit de Bab-el-Mandeb séparant la péninsule arabique de l’Afrique, selon les chiffres officiels.

« Pour le moment, on est encore dans le dérapage contrôlé, mais c’est un moment assez dangereux pour la stabilité de cette région stratégique », constate Camille Lons, chercheuse à l’ECFR (European council on foreign relations).

« Les houthis ont la capacité de créer des dommages considérables », s’inquiète Fabian Hinz, de l’IISS (International Institute for Strategic Studies).

Si les navires militaires qui croisent en mer Rouge peuvent répliquer, comme l’ont fait récemment des bâtiments américains et français, ce n’est pas le cas des bateaux commerciaux. « La marine américaine ne peut pas escorter chaque navire civil en mer Rouge », ajoute-t-il.

Le rôle de l’Iran

Tous les regards sont tournés vers l’Iran, considéré comme le décisionnaire ultime dans l’ouverture ou non d’autres fronts pour Israël : au Liban avec le Hezbollah ou en mer Rouge avec les houthis.

« Le matériel houthi est la plupart du temps de technologie iranienne, mais nous savons très peu de l’implication de Téhéran dans la prise de décision », explique Fabian Hinz.

Les experts insistent sur le degré d’autonomie des houthis, qui « ne répondent pas au doigt et à l’œil à Téhéran, comme le fait le Hezbollah libanais, joyau des proxys (groupes armés alliés, NDLR) iraniens dans la région », décrypte Camille Lons.

« Les houthis existeraient avec ou sans l’Iran », souligne de son côté Franck Mermier. « Ils ont une proximité religieuse et idéologique avec lui, mais ce sont des combattants yéménites avant tout », explique ce spécialiste du Yémen au CNRS.

« Je ne suis pas sûr que les Iraniens appuient sur le bouton à chaque attaque », résume-t-il.

Mouvement politico-militaire radical issu du zaïdisme, une branche du chiisme, les houthis ont leur propre agenda. Se positionner en interne en champion de la cause palestinienne leur permet de faire oublier leur incapacité à stabiliser le Yémen, mais aussi de peser dans le jeu régional au moment où de fragiles pourparlers de paix sont engagés avec l’Arabie saoudite, qui cherche à sortir de la guerre au Yémen, où 400 000 personnes ont péri depuis 2014.

« Jusqu’à présent les houthis ont frappé sans s’attirer de représailles massives, mais ça peut déraper », avertit M. Mermier.

« Si le monde ne s’occupe pas de ça, parce qu’il s’agit d’un problème d’ordre international, nous agirons », a ainsi menacé samedi le chef du Conseil national de la sécurité israélien, Tzachi Hanegbi.

« Les houthis sont totalement imprévisibles et dangereux. Or, les processus qui déclenchent la guerre sont toujours imprévisibles », rappelle Franck Mermier.

« L’Iran a montré jusqu’à présent qu’il n’avait pas intérêt à laisser la situation escalader régionalement. Or, Téhéran a moins de leviers sur des groupes comme les houthis que sur le Hezbollah », abonde Mme Lons.

Répercussions commerciales

Selon la chercheuse Noam Raydan du Washington Institute, les données disponibles suggèrent que plusieurs bateaux ayant des connexions israéliennes (propriétaire, destination…) évitent la mer Rouge depuis la prise du Galaxy Leader – dont l’équipage est toujours détenu – le 19 novembre et contournent l’Afrique par le cap de Bonne-Espérance, rallongeant leurs voyages de deux semaines.

Les coûts augmentent, les assurances également. « Le risque d’une entrave majeure au commerce demeure important », écrit-elle dans une note le 7 décembre.