(Paris) Leur nombre exact est incertain, leur identité inconnue mais ils sont à l’épicentre de la crise. Les otages retenus par le Hamas renvoient Israël à une histoire surchargée et appuient sur un point extrêmement sensible de son opinion.

Quelque 150 hommes, femmes et enfants sont détenus. Les réseaux sociaux diffusent des images, authentifiées ou non, de visages poupons, de sourires, de vies qui ne tiennent plus qu’à un fil.

Le Hamas a menacé d’en exécuter « chaque fois que notre peuple sera pris pour cible sans avertissement ». Depuis, le président turc Recep Tayyip Erdogan et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) notamment affirment discuter avec le mouvement islamiste palestinien.

Le dossier trouve des échos douloureux dans l’histoire du pays.  

Toutefois cette prise d’otages massive « est une première », une situation « inédite par son ampleur et par sa nature », estime Étienne Dignat, spécialiste des otages au Centre de recherches internationales (Ceri). « Israël a l’habitude de “dealer” des hommes et des soldats. Ici, il s’agit de civils, dont nombre de femmes, ce qui constitue une vraie rupture symbolique ».

Il y a les Jeux olympiques de 1972 à Munich, où onze athlètes israéliens sont tués par un commando palestinien. Ou le raid en 1976 de l’aéroport d’Entebbe (Ouganda), où un assaut israélien libère les otages d’un avion détourné par des militants palestiniens.

Lignes rouges israéliennes

Plus récemment, en 2004, Israël a libéré près de 450 prisonniers en échange d’un homme d’affaires israélien et des corps de trois soldats.

Deux ans plus tard, le rapt du soldat Gilad Shalit déclenche cinq mois d’opérations militaires à Gaza. Il est libéré 5 ans plus tard contre 1027 prisonniers palestiniens. C’est la première fois en 26 ans qu’un militaire israélien capturé est ramené vivant dans son pays.

Mais l’affaire déclenche alors « un débat très fort dans la société israélienne sur les concessions à faire » pour libérer des otages, souligne Etienne Dignat, évoquant en particulier une « commission Shamgar » chargée de fixer des lignes rouges.

« Il fallait notamment cesser d’échanger des personnes vivantes contre des dépouilles. Même la famille de Ron Arad (officier porté disparu à la suite d’une mission au Liban en 1986, NDLR) a publiquement refusé que soient faites des concessions pour récupérer » son corps.

La polémique reste vive. Cette négociation pour libérer Gilad Shalit « est peut-être une erreur a posteriori », a estimé jeudi Raphaël Morav, ambassadeur d’Israël, sur la radio française RFI.

« Ces 1027 prisonniers qui sont rentrés à Gaza, ce n’était pas pour fonder une famille et vivre tranquillement. C’était pour revenir dans le cycle du terrorisme », a-t-il dénoncé, pointant parmi eux Yahya Sinwar, chef militaire dans les brigades al-Qassam, la branche armée du Hamas.

Ce à quoi Israël est confronté aujourd’hui est pour autant inédit. Son armée et ses services de renseignement ont failli. Plus de 1200 personnes ont été tuées et le gouvernement est soumis à une pression colossale pour que les otages soient libérés.

Avec une complication internationale : plusieurs otages sont bi-nationaux.

Mardi, des familles d’Américains probablement détenus à Gaza ont demandé à l’administration Biden de les aider à les ramener sains et saufs. Jeudi, des familles françaises ont à leur tour exhorté le président français Emmanuel Macron à « intervenir ».

Exigences du Hamas

« Les Israéliens ont dit que les otages n’affecteraient pas leurs calculs, mais c’est probablement faux », tranche Jon B. Alterman, directeur du Moyen-Orient au think tank CSIS, à Washington. « Stratégiquement, Israël va probablement agir sans se préoccuper des otages tout en essayant, tactiquement, d’essayer de les libérer par tous les moyens ».

Le Hamas, pour sa part, compte bien jouer cette corde ultra-sensible pour obtenir une série de contreparties.

Le principal objectif de l’attaque du Hamas (était) d’obtenir la plus grand nombre de prisonniers et d’otages.

Eva Koulouriotis experte indépendante du Moyen-Orient

Le mouvement espère faire libérer les quelque 5000 Palestiniens détenus en Israël. Mais tentera aussi d’obtenir « la levée du blocus économique de Gaza » et une « plus grande liberté administrative » à l’avenir, juge-t-elle.

Le gouvernement d’urgence mis en place pour la durée du conflit a annoncé « qu’il ne négocierait pas avant la fin de la guerre, mais en pratique (il) a déjà commencé via une médiation égyptienne à négocier l’entrée de carburant et de nourriture dans Gaza contre la libération de prisonniers », note-t-elle encore.

Toutefois, « il est improbable que le Hamas accepte sans obtenir des privilèges […] pour lui-même et pour ses alliés dans la région ».