Les forces israéliennes se mettent en branle non loin de la frontière gazaouie

(Tzéélim, Urim et Nétivot (sud d’Israël)) Un impressionnant arsenal militaire se déploie le long de la frontière séparant l’État hébreu de l’enclave palestinienne. Malgré sa supériorité technologique, l’invasion s’annonce périlleuse pour Tsahal.

Dans une zone de guerre, les stations-service constituent souvent l’une des dernières oasis de vie. Celle d’Urim, un petit village distant d’une quinzaine de kilomètres de la frontière de Gaza, ne fait pas exception. Mardi, plusieurs milliers de militaires israéliens faisaient ici une dernière étape avant d’entrer dans la zone de combats actifs. À cinq minutes de route vers l’ouest, les militaires seront vulnérables aux incursions des combattants du Hamas et à leurs salves de roquettes tirées depuis l’enclave palestinienne.

On croise ici toutes les composantes de Tsahal, l’armée de l’État d’Israël. Des tankistes fument une cigarette, des soldats du génie s’achètent un soda, deux ambulanciers font une rapide sieste et plusieurs tireurs d’élite se soulagent dans les buissons. L’ambiance est lourde. Au cours de l’après-midi, une terrible nouvelle a secoué Israël : le massacre qui a fait des dizaines de victimes dans le kibboutz de Kfar Aza, un peu plus au nord. Une rumeur non vérifiée faisant état de plusieurs dizaines de bébés décapités attise la colère des troupes.

INFOGRAPHIE LA PRESSE

« Les terroristes du Hamas sont des animaux, il n’y a pas d’autres mots. Jamais ce pays n’a été confronté à de pareils crimes », assène un jeune fantassin en s’étirant les jambes après une longue journée de bus depuis le nord du pays. Comme lui, quelque 300 000 réservistes ont été mobilisés par l’armée israélienne ces derniers jours.

Une odeur de steak grillé s’échappe d’un champ jouxtant le stationnement. Un groupe de cinquantenaires, tous d’anciens militaires, ont installé là un immense barbecue pour offrir aux mobilisés un dernier repas chaud avant un quotidien fait de rations militaires. Aux fourneaux, Nir, 56 ans, vétéran des forces spéciales, se plaint d’être frappé par la limite d’âge fixée par l’armée. « J’aimerais tellement partir me battre moi aussi. Cette attaque terroriste est un tournant historique pour notre pays, l’équivalent d’un 11-Septembre couplé à un Pearl Harbor », tempête ce colosse ayant participé à toutes les guerres d’Israël depuis les années 1990. Le bilan israélien est passé à 1200 morts, tôt mercredi matin (heure locale).

PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Nir, 56 ans, ancien membre des forces spéciales de Tsahal, a organisé une distribution de nourriture aux soldats mobilisés.

Il faut en finir et entrer dans Gaza pour tuer un à un les combattants du Hamas. Si Benyamin Nétanyahou ne donne pas l’ordre d’assaut, il perdra son poste dans l’heure. Et je dis cela en tant qu’électeur de gauche.

Nir, vétéran des forces spéciales

Le dilemme des otages

Certains soldats sont anxieux, notamment les plus expérimentés. La dernière occupation de Gaza, en 2014, a laissé un goût amer. En deux mois d’opération, plus de 60 soldats israéliens avaient été tués et près de 500 autres blessés. Sans pour autant venir à bout du Hamas.

PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Soldats israéliens sur un véhicule militaire, non loin de la bande de Gaza

« C’est une guerre de guérilla urbaine qui nous attend. Les blindés ne sont que d’une faible utilité dans un pareil environnement, d’autant que le Hamas semble beaucoup mieux entraîné et équipé qu’autrefois », s’inquiète Bahar, un officier ayant participé à l’offensive de 2014.

Prendre les rues de Gaza, c’est une chose. Mais il y a une deuxième ville sous terre, formée d’un dédale terrifiant de tunnels remplis de pièges. C’est cela, le vrai défi militaire d’une potentielle invasion.

Bahar, officier israélien

Passé l’afflux massif de troupes israéliennes à Gaza, l’offensive se muera donc vite en une gigantesque chasse à l’homme dans une ville de 2 millions d’habitants. Tsahal dispose pour accomplir cette tâche d’importantes ressources. Sur le pourtour de Gaza, plusieurs centaines de véhicules de forces spéciales, aux blindages plus légers, se tiennent ainsi sur le qui-vive aux côtés de camions de brouillage électronique, destinés à désorienter les drones et à entraver les communications radio.

PHOTO BELAL AL SABBAGH, AGENCE FRANCE-PRESSE

Vue aérienne de la ville de Gaza, lourdement touchée par des frappes aériennes israéliennes

Mais cet arsenal antiterroriste menace de se fracasser sur le bouclier humain du Hamas : selon le plus récent décompte des autorités israéliennes, l’organisation terroriste détiendrait environ 150 otages israéliens.

Démonstration de force

À la sortie de la station-service d’Urim, un impressionnant ballet de véhicules militaires défile sur la route. L’invasion de Gaza par l’armée israélienne semble bel et bien imminente. La veille, une compagnie de tanks Merkava était stationnée non loin de la station-service. Elle converge désormais en direction de Gaza en traversant les champs, tapissant l’horizon d’immenses nuages de poussière ocre.

PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Tank israélien se dirigeant vers la bande de Gaza

Quelques blindés retardataires foncent à sa suite, croisant sur leur route une équipe de démineurs affairés autour de corps de combattants du Hamas en décomposition. Les véhicules de combat d’infanterie Nagmachon, omniprésents sur les autoroutes du pays pendant le week-end, ont eux aussi rejoint leurs positions, tout comme l’artillerie.

PHOTO THOMAS COEX, AGENCE FRANCE-PRESSE

Soldats israéliens dans le kibboutz de Kfar Aza

Dans les faubourgs de Nétivot, non loin de Kfar Aza, une demi-douzaine de canons automoteurs M109 pilonnent déjà le nord de la bande de Gaza à coups d’obus de 155 mm. Quelques secondes après chaque détonation, un champignon de fumée de couleur noire s’élève dans le ciel de l’enclave palestinienne.

Des milliers de cibles gazaouies auraient été frappées par Tsahal depuis samedi, occasionnant la mort de 900 Palestiniens.

Le Hamas a reconnu mardi la mort de deux de ses hauts responsables dans une frappe aérienne. Car l’armée de l’air israélienne tourne elle aussi à plein régime. À quelques kilomètres de la frontière égyptienne, plus au sud, cinq chasseurs F-35 filent au-dessus du désert du Néguev. Après avoir mené leur raid sur Gaza, les aéronefs effectuent un demi-tour et retournent à leur base pour faire le plein de bombes.

« Assurer notre sécurité »

Sur le plancher des vaches, le long d’une route traversant les dunes de sable, un ballet ininterrompu de véhicules militaires – un autre – fonce vers Gaza. Il y a là une myriade de jeeps remplies de soldats en tenue de combat, mais aussi des centaines de camions-citernes remplis d’essence, de vivres ou d’obus d’artillerie. Tsahal se prépare de toute évidence à une longue opération militaire. « On va être envoyés à Gaza dans les jours à venir, c’est certain », anticipe Batal, un pilote de char Merkava croisé à l’entrée de Tzéélim, l’un des derniers villages avant l’Égypte.

Après plusieurs jours de bombardements aériens et de frappes d’artillerie, une gigantesque force terrestre s’apprête donc à déferler sur Gaza. Les souffrances des Gazaouis ne font que débuter, et les soldats israéliens le savent. Pour Nir et ses amis, c’est même une raison supplémentaire pour passer à l’action le plus vite possible.

« Nous n’avons pas le choix, il faut se débarrasser du Hamas. Il s’agit d’assurer notre sécurité pour les 50 prochaines années, expliquent-ils. Nous avons aujourd’hui une fenêtre de tir sur la scène diplomatique. Après le massacre du 7 octobre, les puissances occidentales ouvrent enfin les yeux sur la menace à laquelle Israël fait face depuis toujours. Elles compatissent et nous soutiennent. Mais cette solidarité ne sera pas éternelle. D’ici quelques semaines, elles nous verront à nouveau comme de grands méchants oppresseurs de Palestiniens. Il faut agir tout de suite et de manière décisive. »