Bachar al-Assad, qui a été mis au ban de la communauté internationale pendant plus d’une décennie en raison des exactions perpétrées par son régime pour étouffer un important soulèvement, est en voie de se remettre en selle sur le plan diplomatique.

Ce qu’il faut savoir

• Le dirigeant syrien Bachar al-Assad, longtemps déclaré persona non grata en raison de la violente répression du mouvement de contestation populaire survenue dans son pays, a récemment rétabli des contacts diplomatiques avec plusieurs pays arabes.

• Son retour en grâce témoignerait notamment de considérations sécuritaires, plusieurs dirigeants arabes craignant de voir le pays retomber dans un conflit d’envergure faute de soutien extérieur.

• Les États-Unis s’opposent officiellement à toute normalisation des relations avec le régime syrien. Ils se sont cependant opposés mollement aux démarches de pays arabes en ce sens.

Telle est du moins la volonté affichée de nombreux régimes arabes du Moyen-Orient qui multiplient les ouvertures envers le dictateur sans se formaliser de son rôle central dans un conflit meurtrier qui a fait des centaines de milliers de victimes et des millions de réfugiés et de déplacés et qui a laissé de larges pans du pays en ruine.

PHOTO AMEER AL-HALBI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Habitants d’Alep fuyant des bombardements dans un quartier tenu par les rebelles, en septembre 2016

Le mouvement de réhabilitation, qui a débuté il y a quelques années, s’est grandement accéléré récemment et pourrait culminer avec la réintégration formelle du pays au sein de la Ligue arabe, même si certaines divisions persistent à ce sujet.

L’Arabie saoudite, qui a longtemps financé une partie de l’opposition au régime syrien, a affiché ses nouvelles dispositions en envoyant son ministre des Affaires étrangères, Fayçal ben Farhan, à Damas en avril pour rencontrer le président syrien.

PHOTO PRÉSIDENCE IRANIENNE, FOURNIE PAR L’AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président syrien, Bachar al-Assad (à droite), recevant son homologue iranien, Ebrahim Raïssi, mercredi, à Damas.

Les journaux des deux pays ont joué bien en vue des photos de la rencontre, qui survenait une semaine après que le responsable de la diplomatie syrienne eut fait le voyage à Riyad.

Le quotidien Al-Watan, dans un texte relayé par le Courrier international, a relevé que le régime saoudien avait fait savoir au dirigeant syrien qu’il ferait « tout son possible » pour permettre que son pays « retrouve sa place dans le giron arabe ».

L’initiative saoudienne est loin d’être unique comme en témoigne le fait que Bachar al-Assad lui-même a récemment été accueilli par les Émirats arabes unis en compagnie de sa femme, qui n’avait pas effectué de voyage officiel depuis près d’une décennie.

Des échanges ont aussi eu lieu avec le Sultanat d’Oman, l’Égypte, la Jordanie et la Tunisie, témoignant de l’importance du virage en cours.

L’Iran, qui a joué de concert avec la Russie un lien crucial dans le maintien au pouvoir de Bachar al-Assad, s’est ajouté au ballet diplomatique en dépêchant cette semaine le président Ebrahim Raïssi à Damas. La dernière rencontre officielle en haut lieu de cette nature entre les deux pays remontait à 2010, avant le début du Printemps arabe.

Efforts de rapprochement

Thomas Juneau, spécialiste du Moyen-Orient rattaché à l’Université d’Ottawa, note que l’Arabie saoudite espère peut-être limiter l’influence iranienne en renouant des liens formels avec le régime syrien.

L’objectif premier, dit-il, est cependant de minimiser le risque de conflits potentiellement déstabilisateurs afin de permettre au prince héritier Mohammed ben Salmane d’aller de l’avant avec un plan de « modernisation » du pays qui requiert des investissements étrangers et un afflux de touristes.

Une récente étude de l’Arab Center Washington indique que plusieurs dirigeants arabes craignent de voir la Syrie retomber dans une guerre civile d’envergure en l’absence d’un soutien extérieur conséquent. Ils souhaiteraient par ailleurs freiner l’exportation vers leur pays d’amphétamines dans le cadre d’un trafic illicite profitant au régime syrien.

Les États-Unis s’opposent officiellement aux efforts de rapprochement observés et refusent d’envisager la levée des sanctions imposées au pays en l’absence de tout processus de transition politique et d’imputabilité pour les exactions commises par le régime syrien.

Une responsable du département d’État américain, Barbara Leaf, a cependant déclaré récemment que les pays renouant avec la Syrie devraient s’assurer d’obtenir « quelque chose en échange », notamment en matière de respect des droits de la personne.

Une ouverture diplomatique « désolante »

Marie Lamensch, qui est coordonnatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia, pense que l’ouverture diplomatique en cours est « désolante » et a très peu de chances de mener à des concessions importantes sur ce plan.

Les pays concernés ont eux-mêmes des bilans catastrophiques en matière de droits de la personne et n’ont que faire, dit-elle, de la manière dont le régime syrien traite sa population.

[Les pays concernés] cherchent d’abord à se positionner politiquement dans un contexte changeant et à établir des liens économiques. Ils ne vont pas demander de réformes majeures ou exiger que justice soit faite.

Marie Lamensch, coordonnatrice de projets à l’Institut montréalais d’études sur le génocide et les droits de la personne de l’Université Concordia

Bachar al-Assad lui-même semble de toute manière très peu susceptible de s’amender face aux Syriens, qui vivent pour la plupart sous le seuil de la pauvreté.

« S’il avait voulu les aider, il l’aurait fait il y a longtemps », estime Mme Lamensch, qui mise sur des pays occidentaux comme l’Allemagne usant de la juridiction universelle en matière de crimes contre l’humanité pour tenter de forcer le régime à répondre de ses actes.

Le Printemps arabe en perspective

Thomas Juneau relève que la position américaine face aux ouvertures de l’Arabie saoudite reflète un certain pragmatisme puisque Washington n’a de toute façon « pas les moyens » de convaincre Riyad de changer de cap.

La dynamique actuelle a tout pour plaire par ailleurs à la Russie, qui voit dans la réhabilitation de la Syrie une « victoire diplomatique » après des années d’engagement militaire sur le terrain pour protéger le régime.

Avec le virage autoritaire que prend la Tunisie et le retour en selle de Bachar al-Assad, il ne semble pas a priori « rester grand-chose de positif du Printemps arabe » puisque la plupart des pays touchés sont revenus au statu quo ou pire, relève M. Juneau.

De nouveaux soulèvements sont certainement à prévoir, note-t-il, puisque les conditions qui avaient alimenté la grogne populaire perdurent à plusieurs endroits.

« La marche vers la liberté n’est jamais facile. C’est long, c’est pénible et il y a toujours des mouvements contre-révolutionnaires violents », souligne l’universitaire.