(Versailles) La France est devenue lundi le premier pays à inscrire explicitement dans sa Constitution l’interruption volontaire de grossesse, au grand dam du Vatican, et à rebours de nombre de pays où le droit à l’avortement recule.

« Nous avons une dette morale » envers toutes les femmes qui ont « souffert dans leur chair » d’avortements illégaux, a déclaré le premier ministre Gabriel Attal, en ouvrant les débats.

Députés et sénateurs réunis solennellement en Congrès au château de Versailles ont approuvé à une très large majorité (780 pour, 72 contre) la modification de la Constitution proposée par le gouvernement du président Emmanuel Macron.

Celui-ci a salué une « fierté française » et un « message universel ». « Célébrons ensemble l’entrée d’une nouvelle liberté garantie dans la Constitution », a écrit M. Macron dans un message publié sur X.

À quatre jours du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, cette réforme introduit à l’article 34 la phrase : « La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse ».

PHOTO KIRAN RIDLEY, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation à Paris, le 28 février

Il s’agit de « la première disposition constitutionnelle aussi explicite et large en la matière, pas juste en Europe, mais dans le monde », a souligné Leah Hoctor, du Center for Reproductive Rights, organisation américaine défendant le droit à l’avortement.

Le chef de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a salué ce vote. « Nous saluons la décision de la #France de garantir les droits des femmes et de leur sauver la vie », a écrit Tedros Adhanom Ghebreyesus sur X, ajoutant que « l’avortement sans risque fait partie des soins de santé ».

Le Vatican a lui redit lundi son opposition à tout « droit à supprimer une vie humaine », au moment de ce vote historique.

« À l’ère des droits de l’homme universels, il ne peut y avoir de “droit” à supprimer une vie humaine », a affirmé dans un communiqué l’Académie pontificale pour la Vie, organe du Vatican chargé des questions bioéthiques, en soutien à l’opposition des évêques de France.

La réunion du Congrès français parachève une longue bataille politique initiée par la gauche, portée par les associations féministes et finalement embrassée par le gouvernement après plusieurs initiatives parlementaires.

« Message d’espoir »

Soutenue par plus de 80 % de la population française selon divers sondages, la constitutionnalisation de l’avortement s’est progressivement imposée dans le paysage politique.  

Même la tour Eiffel s’est illuminée lundi soir pour célébrer ce vote. Et la droite et l’extrême droite, historiquement opposées ou sceptiques devant la formulation retenue par le gouvernement, ont fini par voter majoritairement pour la réforme, malgré certaines réticences.  

PHOTO DIMITAR DILKOFF, AGENCE FRANCE-PRESSE

La tour Eiffel a souligné ce vote.

L’avortement a été légalisé en France en 1975, quatre ans après un appel choc où 343 femmes, dont les actrices Jeanne Moreau et Catherine Deneuve et les écrivaines Simone de Beauvoir, Marguerite Duras et Françoise Sagan, avaient révélé s’être fait avorter.

Militant inlassable de cette constitutionnalisation, le Planning familial a salué par avance le « message d’espoir » qu’enverra le Congrès « aux féministes du monde entier ». « Car en France et à travers le monde, le droit à l’avortement est encore gravement menacé », a souligné l’association de défense des droits des femmes, notamment en matière de sexualité et contraception.

« Bataille culturelle »

Démonstration en a été faite de manière spectaculaire avec l’annulation en juin 2022 aux États-Unis de l’arrêt Roe c. Wade, qui protégeait l’accès à l’avortement au niveau fédéral. Depuis, de nombreux États ont fortement restreint voire interdit l’avortement sur leur sol et des milliers d’Américaines sont obligées d’entreprendre des voyages pénibles et coûteux pour avorter.

Cette décision outre-Atlantique a eu l’effet d’un électrochoc sur l’opinion et les élus français, conduisant à de premières initiatives la même année, d’abord sous l’impulsion de la gauche radicale.

PHOTO LUDOVIC MARIN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Manifestation devant le Sénat, le 1er février à Paris

En mars 2023, Emmanuel Macron annonçait sa volonté d’inscrire dans la Constitution la « liberté » de recourir à l’avortement.

Ces derniers jours, peu de voix hostiles se sont fait entendre. La Conférence des évêques de France a relayé lundi l’appel « au jeûne et à la prière » lancé par plusieurs associations catholiques. « De tous les pays européens […], la France est le seul où le nombre des avortements ne baisse pas et a même augmenté ces deux dernières années », a-t-elle affirmé.

Les opposants à l’avortement se sont mobilisés par centaines à Versailles lundi après-midi. Des adolescentes ont collé des photos d’échographies devant lesquelles les manifestants ont déposé des roses blanches, « symboles de résistance ».

Les partisans de la réforme s’étaient eux donné rendez-vous au Trocadéro, à Paris, où une retransmission du vote sur écran géant a été organisée à l’initiative de la mairie et de la Fondation des femmes. « Ça fait chaud au cœur de voir la France devenir le premier pays à sanctuariser ce droit tellement important », a salué Brigitte Tirot, 72 ans.